Faisons l’hypothèse que la France décide de ne pas inscrire sa trajectoire vers un mix électrique à plus de 80% d’énergies renouvelables d’ici 2040, et de rester à un niveau inférieur à 20% comme aujourd’hui. Ce ne sont pas moins de 800 TWh-thermiques de chaleur nucléaire actuellement bêtement perdue qui pourraient alors être valorisés chaque année. Assez pour chauffer toute la France.
Il est possible de transférer la chaleur sur 100 km avec seulement 2% de perte, et bien davantage en acceptant un niveau de perte supérieur. Les centrales nucléaires étant éparpillées sur tout le territoire français, toutes les villes françaises pourraient bénéficier de cette chaleur.
La quantité de déchets radioactifs par unité d’énergie valorisée pourrait alors être divisée par trois. La balance commerciale française y gagnerait compte-tenu de la réduction massive des importations de gaz naturel en provenance de Norvège (38,4% en 2012), Pays-Bas (14,5%), Russie (14,4%) et Algérie (8,4%).
Réalisme et pragmatisme
Le chauffage électrique consomme environ 60 TWh-électriques par an. La valorisation de la chaleur nucléaire actuellement perdue permettrait ainsi de réduire de 12% la demande électrique nationale et de 15% la production électro-nucléaire. Ou alors de répondre à 80% aux 75 TWh nécessaires pour alimenter en électricité l’intégralité du parc de voitures particulières national (il faut ajouter environ 40 TWh pour les utilitaires, les cars et les bus). De quoi soulager considérablement la facture pétrolière.
Une fois que les centrales nucléaires seront arrivées en fin de vie, les réseaux de transport et de distribution de la chaleur ne seront pas inutiles : les centrales sont localisées à proximité d’une source d’eau (fleuve, rivière, mer). Il sera alors possible de convertir les centrales nucléaires en pompes à chaleur aquathermiques. Une technologie qui suscite actuellement une véritable ébullition au niveau du ministère de l’énergie britannique.
Plutôt que de réaliser en France des centaines voir des milliers de forages pour prélever le gaz de schiste, un combustible fossile qui aggravera le bilan en GES de la France et dont l’extraction n’est pas neutre sur le plan environnemental et paysager, installer un système de transport et distribution de la chaleur (invisible) depuis les 19 centrales nucléaires françaises semble bien plus pertinent. Tant sur le plan économique qu’écologique. La France est « le plus beau pays du monde » selon un documentaire sponsorisé par GDF Suez, il serait regrettable de le souiller et de dégrader ses paysages par l’exploitation du gaz de schiste.
En France le gaz de schiste n’a strictement aucun intérêt sur le plan climatique au niveau du secteur électrique. En outre l’efficacité énergétique d’un véhicule électrique (technologie développée par exemple par Renault) est supérieure à celle d’un véhicule au gaz naturel. Dans le domaine énergétique l’intérêt du gaz concerne donc principalement le secteur de la chaleur.
Si le nucléaire induit de nombreux problèmes (déchets, risque de catastrophe, importations d’uranium, une ressource épuisable), il a aussi de nombreux avantages:
- Le capital du parc nucléaire français est déjà amorti, ce qui permet de produire aujourd’hui un kWh à environ 6 c€ selon la cour des comptes. Prolonger la durée de vie des 60 GW centrales coûtera 110 milliards d’euros (grand carénage) selon la cour, soit environ 2€/W ;
- La production d’1 kWh de nucléaire émet peu de CO2 (au niveau des mines d’extraction, de la concentration de l’U235…) ;
- La production électro-nuclaire opère en base, indépendamment de la météo.
Dans le contexte français, compte-tenu du parc électro-nucléaire déjà en place et de la situation financière calamiteuse de l’état français, la valorisation de la chaleur nucléaire est manifestement l’un des puissants leviers dans la perspective d’une transition rapide vers un mix énergétique décarboné.
La France pourrait ainsi focaliser ses efforts d’investissement d’une part sur la construction du réseau de transport et distribution de la chaleur nucléaire et d’autre part sur l’électrification du parc automobile. Elle réduirait alors massivement ses importations pétrolières. En plus de celle des importations gazières.
La France deviendrait alors encore bien davantage nucléaire qu’elle ne l’est aujourd’hui, mais ceci sans produire un seul gramme de déchets radioactifs en plus.
Une optimisation de l’existant, en somme.