Depuis son enfance, Fabrice Ntchango, ingénieur en gestion et conduite de projet, est passionné par la nature. Petit-fils d’une permacultrice, il a travaillé durant ses études dans une compagnie de bois, ce qu’il l’a amené à s’interroger sur l’environnement et le développement durable. A la fin de son Master passé à Dakar, il rentre au Gabon et crée avec un ami son ONG Gabon écologie dans le but de sensibiliser les jeunes à la protection de l’environnement. Mais lorsqu’il leur parlait d’écologie, les jeunes gabonais mettaient plutôt en avant le chômage et la précarité qu’ils subissaient.
Face à cette réalité, Fabrice Ntchango a souhaité lier développement durable et entreprenariat afin d’aider les jeunes en situation de décrochage. En 2013, il fonde son incubateur Akewa.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce que Akewa ?
Fabrice Ntchango : Akewa est un incubateur qui soutient les startups dans 5 domaines-clés, désignés comme à fort potentiel de croissance économique : les énergies renouvelables, l’agriculture, le développement durable, l’industrie culturelle et créative, et enfin, un cluster transversal lié au numérique et digital. Nous accompagnons les projets quels que soient leurs stades : idéation, pré-incubation, incubation ou accélération de croissance. En parallèle, nous proposons des services, des formations et nous créons aussi des événements dans le domaine de l’entreprenariat. A partir de 2023, nous allons lancer notre challenge national Green Business Challenge pour soutenir les meilleurs projets dans le domaine de l’environnement et favoriser les innovations technologiques dans ce secteur.
Quelle est la place d’Akewa dans l’innovation africaine ?
Nous avons réussi à nous positionner comme un écosystème clé au niveau du Gabon et aussi du continent car nous sommes membres de 3 réseaux très importants : Afrilabs basé au Nigéria, Afric’innov basé à Dakar, et enfin le Global Startup Award. Mon ambition pour Akewa est de devenir un nœud d’innovation entrepreneuriale et sociale sur le continent. Nous avons des bureaux dans 6 autres pays africains : Togo, Sénégal, Côte d’ivoire, République centrafricaine, Cameroun et République Démocratique du Congo. Cela nous permet de développer des projets continentaux et mener des actions simultanées dans différents pays africains.
Quelles startups avez-vous accompagné ?
Pour ne citer que quelques exemples, dès nos débuts, nous avons accompagné la jeune Tamarah Moutotekema Boussamba dans le secteur agricole. Elle a fondé son entreprise Agridis et cofondé la start-up WAGUI afin de développer une application qui met en relation les agriculteurs et les acheteurs. L’application permet de commander et payer en ligne, ce qui est une véritable innovation au Gabon. Depuis, elle a reçu de nombreux prix internationaux et est devenue une référence dans l’innovation africaine.
Dans le domaine de l’énergie, nous avons accompagné la start-up Solar Box qui a développé un kit solaire composé d’un onduleur, d’une batterie et d’un cube solaire. Ce kit permet de fournir de l’énergie propre aux ménages gabonais qui n’ont pas tous accès à l’électricité. Aujourd’hui, l’entreprise d’Aubin N’goua travaille sur de gros marchés avec l’Etat, notamment sur l’électrification d’un village complet.
Enfin, nous soutenons actuellement une start-up qui monte une application pour prévenir les risques de catastrophes climatiques et cartographier les zones où il ne faut pas construire. Depuis quelques mois, il y a eu plusieurs morts au Gabon à cause de la montée des eaux et des conditions météorologiques. Cette application pourra donc être très utile mais le projet est encore en cours.
De manière générale, je suis content de voir que de plus en plus de jeunes s’intéressent à la thématique de l’environnement alors que j’étais un peu seul à m’en préoccuper il y a une dizaine d’années. Une nouvelle génération prend le relai et c’est une très bonne nouvelle.
Comment fonctionne l’innovation au Gabon ?
Depuis peu, le Gabon a compris qu’il ne pouvait pas compter uniquement sur le pétrole pour se développer et tente de diversifier son économie. Si nous commençons à parler d’innovation, il n’y a pas encore de programme politique pour la porter, et ce sont les structures comme Akewa qui doivent promouvoir et accompagner l’entreprenariat. Mais la situation est compliquée, beaucoup d’incubateurs ferment faute de moyens financiers.
Je pense que le gouvernement n’a pas encore saisi les enjeux de l’innovation. Ils ont mis en place la Société d’incubation numérique du Gabon (SING), afin d’aider les entreprises dans leur transformation numérique, mais ce n’est pas suffisant. L’innovation est un secteur complexe où il s’agit aussi de mettre en relation les personnes, d’aller chercher les jeunes décrocheurs et leur montrer ce qu’ils peuvent apporter. Ensuite, il faut les accompagner, leur apprendre à gérer une entreprise au quotidien avec des réalités au niveau fiscal, montrer comment créer des politiques de développement des ventes, utiliser le digital, développer son réseau. Et là encore, ce sont les incubateurs qui jouent ce rôle. Il me semble donc nécessaire de renforcer les politiques à ce sujet.
Comment les startups trouvent-elles des financements ?
C’est une question très complexe pour les jeunes entrepreneurs. Aujourd’hui, il y a environ 6000 jeunes porteurs de projets au Gabon mais ils sont bloqués faute de financements. Souvent, ils ont des projets ambitieux, mais n’ont pas la possibilité d’être aidés par les banques car ils n’ont pas de garanties, de titres fonciers etc. De son côté, l’Etat n’aide pas suffisamment. Il faut alors chercher de nouveaux mécanismes financiers. Avec Akewa, nous les mettons en relation avec des business angels, nous leur présentons les solutions de crowdfunding, de financements solidaires, d’autofinancement. Nous les incitons aussi à se fédérer lorsque plusieurs personnes ont des idées similaires car ils seront plus facilement aidés s’ils sont 5 ou 6 derrière un projet. C’est une véritable aubaine lorsque des organisations acceptent de financer les projets.
Face aux défis climatiques, pensez-vous que l’innovation africaine a un rôle à jouer à l’échelle mondiale ?
En réalité, je pense que l’innovation ne se fera que par la jeunesse africaine. L’Afrique est le continent le plus jeune, et au même moment, une grande partie de ses habitants sont au chômage. Or tous les ans, de nouveaux jeunes arrivent sur le marché du travail. Face à cette situation, leur seule solution sera de se créer eux-mêmes leur emploi, et trouver de nouvelles manières d’innover, de s’illustrer. Depuis notre création en 2013, notre base de données est remplie de projets magnifiques qui demandent juste des financements pour se réaliser. Je vous conseille aussi de regarder toutes les solutions technologiques développées au Nigéria, au Ghana, au Maroc, en Tunisie, au Sénégal. Je suis persuadé que nos jeunes ont une carte à jouer, il faut juste leur en donner les moyens.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
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