L’activité humaine génère des nuisances sonores, jusque dans les milieux marins. Rencontre avec Olivier Adam, coorganisateur d'une journée de conférences sur la pollution sonore dans l’océan, pour comprendre l'impact de ces nuisances sur les animaux.
Sur Terre, l’être humain s’habitue aux nuisances sonores faibles et continues. Certaines personnes vont même jusqu’à s’apaiser ou s’endormir au bruit des avions, voitures ou trains. Mais lorsque le bruit est plus fort ou récurrent (imaginez un robinet qui fuit), il peut très vite devenir insupportable. Il en va de même dans le milieu marin et nos activités peuvent devenir létales pour les animaux qui y vivent. Nous en avons discuté avec Olivier Adam, professeur à Sorbonne Université qui travaille également sur la communication des cétacés. Il a coorganisé, en collaboration avec Ocean Ambassadors, une journée de conférences sur la pollution sonore dans l’océan, en septembre dernier.
Techniques de l’ingénieur : Qu’est-ce que la pollution sonore dans l’océan ?
Olivier Adam : Dans le passé, on utilisait le mot « pollution sonore » lorsque le risque était létal pour ceux qui subissaient ces sons, et « nuisance sonore » sinon. Mais, récemment, seul le terme « pollution sonore », y compris dans les articles scientifiques, est utilisé, à partir du moment où l’activité humaine génère des sons récurrents, susceptibles d’impacter la biodiversité marine.
Quelles sont les sources de pollution sonore ?
Si nous devions classer les pollutions de la plus bruyante à la moins bruyante, viendrait en première position le trafic maritime. En effet, les supertankers et tankers de la marine marchande ainsi que les énormes ferries utilisent des moteurs et des hélices surdimensionnés qui génèrent des sons de fortes intensités et de basses fréquences : ils ont l’inconvénient de se propager bien et loin dans le milieu marin, en particulier autour des autoroutes maritimes entre l’Asie, l’Europe et le continent américain. Ensuite, en deuxième position : l’industrie qui se développe en mer, comme les éoliennes qui propagent un son constant dans l’eau, mais également les ports industriels qui continuent à se développer pour accueillir de plus en plus de containers. Ensuite, en troisième et quatrième positions, mais de façon plus ponctuelle car émis lors de missions spécifiques, il y a la recherche de pétrole qui utilise des airguns, instruments qui génèrent des explosions visant à décrire les sédiments sur les fonds marins, et certains sonars utilisés par les marines militaires pour détecter des sous-marins habités ou robotisés.
Comment mesure-t-on cette pollution ?
Pour acquérir de la donnée, on met des hydrophones dans l’eau. Il y a une dizaine d’années, cela se faisait de façon ponctuelle, mais nous avons désormais des bouées qui recueillent de l’information 24h/24 et 7j/7. Il existe différents projets en Méditerranée et en Atlantique, impliquant des pays comme les États-Unis, le Canada et la France. Les observatoires se sont bien développés au cours de ces dernières années. Ces données collectées ne sont pas en temps réel. La seule acquisition en temps réel est possible lors d’une construction, par exemple, pour permettre d’alerter lorsque l’intensité sonore dépasse un certain seuil mettant en danger la biodiversité marine. Il faut noter que cette surveillance des intensités acoustiques des travaux n’est pas spécifique au milieu marin, mais existe également pour surveiller les effets des travaux terrestres.
Il faut ensuite analyser ces données pour évaluer les effets possibles sur la biodiversité marine. Ce travail est assez compliqué à déterminer car les impacts dépendent de nombreux paramètres. En fonction de la bande fréquentielle, l’impact diffère selon les espèces, mais également de l’intensité acoustique, le temps d’exposition à l’onde sonore et le type de son, c’est-à-dire s’il est continu ou impulsif. Car pour les mammifères marins, il a été noté qu’ils ont une sensibilité différente pour des sons transitoires (comme les sonars par exemple).
Il existe 89 espèces de cétacés. Il s’agit de mammifères marins qui vivent en structures sociales plus ou moins complexes et qui utilisent les sons dans leurs activités vitales. Ces espèces vont avoir des réactions différentes. Il faut alors faire du cas par cas. Pour mieux comprendre, je vous suggère de regarder le film Sonic Sea. Il y décrit les effets des trois sources les plus impactantes pour les cétacés, et montre pour chacune d’elle pourquoi certaines espèces de cétacés sont en difficulté, allant de la gêne par masquage acoustique de leurs propres émissions sonores à des risques d’échouage.
Cet impact est-il uniquement sur le système auditif ?
Non, il y a également un impact sur le corps, car l’onde acoustique est une onde physique, au sens où il s’agit d’un déplacement de particules. On peut faire exploser la vessie natatoire d’un poisson, comme l’a remarqué sans le vouloir le scientifique Arthur N. Popper lors d’une expérience.
Pour évaluer les effets des sons émis par les activités humaines, on peut avoir recours, pour des expériences scientifiques, à du play-back, c’est-à-dire diffuser des sons spécifiques via un ou plusieurs haut-parleurs dans l’eau. Ces expérimentations sont effectuées sous certaines conditions pour des raisons d’éthique : il ne s’agit pas de harceler des animaux, encore moins de leur faire courir le moindre risque pour leur système auditif ou leur santé.
Et les résultats sont très intéressants. On peut citer notamment les excellents travaux de la chercheuse française Charlotte Curé, sur les baleines à bosse, cachalots, orques, globicéphales. Ces études sont fondamentales pour mieux comprendre comment ces sons anthropiques peuvent gêner les cétacés, comme par exemple en interrompant des cachalots dans leurs recherches de nourriture.
Y a-t-il des solutions pour diminuer cet impact ?
Nous ne cherchons effectivement pas à arrêter les activités humaines, mais à atténuer leurs impacts sur l’environnement marin, un peu comme cela a été fait avec les voitures et les avions, avec des normes, progressivement depuis plus d’une trentaine d’années. Concernant le bruit sous-marin dans les océans, la France l’a inscrit dans la loi en 2010.
Alors oui, il y a des solutions qui existent pour diminuer les bruits rayonnés par les grands bateaux de la marine marchande, comme réduire la vitesse, changer les hélices ou faire des opérations de maintenance sur les cargos. En effet, il est possible d’isoler les moteurs de la coque pour éviter les vibrations, comme le font les militaires. Ensuite, on peut changer les hélices pour avoir un meilleur rendement et moins de cavitation (microbulles). Certains industriels trouvent des solutions pour inciter à réduire le bruit : le port de Vancouver a par exemple mis un hydrophone à son entrée. Si le bateau fait moins de bruit que le seuil imposé, il paye son stationnement 50 % moins cher.
Je pense que les dix prochaines années vont être dédiées à la mise en place de nouvelles réglementations et à faire appliquer plus largement celles déjà en place, il y a 4 ou 5 ans.
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