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Atteindre l’autosuffisance en soja en Europe pour limiter la déforestation importée

Posté le 1 août 2022
par Nicolas LOUIS
dans Environnement

La majeure partie du soja consommé en Europe est importée, principalement d’Amérique du Sud, où cette culture est liée à des problèmes de déforestation. Grâce au développement d'un modèle algorithmique, des chercheurs se sont intéressés à la capacité du continent européen à devenir autosuffisant en soja, compte tenu du climat actuel et futur.

Le soja ne représente que 1,7 % des surfaces cultivées sur le continent européen. Résultat : 90 % de sa consommation est importée, principalement en provenance du Brésil et l’Argentine. Dans ces pays, les surfaces de cette culture ont beaucoup augmenté ces dernières années, et sont accusées de participer à la déforestation. Des chercheurs d’AgroParisTech, de l’INRAE, des UMR Agronomie et MIA (Mathématiques et Informatique Appliquées), et du NARO (National Agriculture and Food Research Organization − Japon) ont publié dans Nature Food une étude dans laquelle ils se sont intéressés à la capacité du continent européen à devenir autosuffisant en soja.

« Notre travail de recherche a été réalisé à l’échelle du continent européen, incluant notamment des pays comme l’Ukraine et la Russie, explique Nicolas Guilpart, maître de conférences à AgroParisTech. Compte tenu de la situation géopolitique actuelle, un tel périmètre peut surprendre, mais s’explique par le fait que notre modèle numérique prend en compte les changements climatiques et qu’il était important de prendre en compte une aire géographique large, car ces changements se jouent à cette échelle. Ceci dit, un grand nombre des résultats de notre étude peuvent s’appliquer à l’échelle de l’Union européenne. »

Le soja étant très peu cultivé en Europe, les scientifiques ont dans un premier temps cherché à estimer les surfaces susceptibles d’accueillir cette culture avec de bons niveaux de rendement. Pour cela, ils ont utilisé une base de données mondiales dans laquelle sont recueillis les rendements du soja. Et ils l’ont croisée avec les données climatiques actuelles ou passées à l’échelle de la planète. Puisque le soja est cultivé un peu partout dans le monde, les chercheurs ont réussi à identifier plusieurs endroits, principalement situés en Amérique du Nord et en Chine, où le climat s’apparente à celui rencontré en Europe.

À partir de ces données, un modèle algorithmique, basé sur du machine learning, a ensuite été développé afin de prédire le niveau de rendement en fonction du climat. Une fois ajusté, il a été couplé aux scénarios d’évolution climatique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) à l’horizon 2050 et 2090.

Un potentiel de culture estimé à plus de 100 millions d’hectares

D’après le modèle développé, il ressort que compte tenu du climat actuel, le continent européen possède un potentiel de culture du soja très élevé estimé à un peu plus de 100 Mha (millions d’hectares). Ce chiffre correspond à des surfaces dont les rendements sont supérieurs à 2 tonnes par hectare, soit l’équivalent du rendement moyen actuellement observé en Europe.

Autre résultat : malgré l’évolution future du climat, les surfaces potentiellement cultivables en soja restent tout de même très élevées et sont estimées à environ 80 Mha à l’horizon 2050. « Cette culture est capable de s’adapter à des conditions climatiques très diverses, analyse le chercheur. Elle est actuellement cultivée dans des zones très proches de l’équateur, mais aussi au Canada. Pour optimiser les rendements, il est important d’utiliser les bonnes variétés au bon endroit, tout en sachant que la température optimale de croissance du soja est comprise entre 25 à 30 degrés. Au-delà, la température commence à avoir un effet négatif, et lorsqu’elle est supérieure à 40 degrés, la production de graines est stoppée. »

Alors qu’actuellement, le soja en Europe est principalement implanté dans la moitié sud de la France, au nord de l’Italie, en Serbie et en Roumanie, les chercheurs prévoient que le réchauffement climatique devrait provoquer un déplacement des zones de culture. Les plus productives devraient se situer, à l’horizon 2050, dans le nord de la France et de l’Italie, le sud de l’Allemagne, mais aussi la Suisse, l’Autriche, la Hongrie et l’Ukraine.

Au final, cette étude révèle que pour atteindre une autosuffisance en soja de 50 % en Europe, entre 4 et 5 % des terres cultivées devraient être consacrées à cette culture, ce qui représente entre 11 et 14 Mha. Et pour atteindre une autosuffisance de 100 %, le soja devrait représenter entre 9 % et 11 % des surfaces cultivées, soit l’équivalent de 24 à 32 Mha.

Réduire l’usage des engrais azotés grâce à la culture du soja

Mais une très nette augmentation des surfaces en soja en Europe conduirait-elle systématiquement à une réduction de la déforestation importée ? « On peut imaginer que cela contribuerait significativement à réduire cet effet, répond Nicolas Guilpart. Pour atteindre une autosuffisance de 50 % en Europe, il faudrait augmenter les surfaces en soja de 9 Mha. Ce chiffre correspond à 8 millions d’hectares en Argentine, compte tenu d’un rendement moyen supérieur dans ce pays. Cette surface représente environ 40 % de la surface implantée en soja en Argentine. »

Cultiver plus de soja en Europe pourrait aussi permettre de réduire les quantités d’engrais azotés sur ces surfaces. Cette plante, classée dans la catégorie des légumineuses, a en effet la particularité de fixer l’azote atmosphérique, et n’a donc pas ou très peu besoin d’être fertilisée en azote. L’économie en engrais estimé par les chercheurs de cette étude est comprise entre 4 et 7 % pour une autosuffisance de 50 % et entre 13 à 17 % pour une autonomie totale.

Autre effet positif attendu : inclure du soja dans la rotation des cultures pourrait favoriser un meilleur contrôle des bioagresseurs (mauvaises herbes, maladies ou ravageurs), et donc conduire à une réduction des pesticides épandus. En sachant que le soja est déjà l’une des grandes cultures les moins traitées en France.


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