A l’issue des premières assises de la RFID, organisées le 10 mai 2010 à Bercy, Daniel Nabet, président du comité d’orientation stratégique et scientifique du CNRFID et directeur de l’unité d’affaires M2M chez Orange business services, a synthétisé les travaux lors d’une séance de clôture. Voici les principaux points qu’il a relevés.
Premier constat qui ressort de cette journée, l’identification par radiofréquence est une notion qui recouvre des enjeux différents et une réalité large. Les principes technologiques sont bien connus, les technologies sont maîtrisées depuis plusieurs années, et sont déjà utilisées à grande échelle et en évolution constante (UHF, dual frequency…). Les usages se développent principalement au travers des applications de traçabilité en temps réel. Les applications résultent d’ailleurs souvent d’aspects liés à la sécurité des biens et des personnes (syndromes post 11 septembre, sécurité alimentaire, contrôle des flux humains et logistiques…). Au delà, on observe un regain d’intérêt des entreprises pour une optimisation renforcée de leurs chaînes logistiques intermédiaires, qui sont toujours des facteurs de coûts importants.
Les usages par secteurs prennent le pas sur la technologie. Les business models s’avèrent complexes. Ils se situent principalement en milieu industriel. Etant donnée la fragmentation de la chaîne de valeur entre matériel et logiciel et entre offreurs petits et grands, la rentabilité d’un projet de traçabilité par RFID n’est pas immédiate à trouver pour l’utilisateur industriel. Pour les offreurs, cela rend les projets longs et complexes à déployer avec un fort risque de non déploiement total et de perte d’investissement. Du côté des utilisateurs, le bénéfice de la RFID est souvent « indirect » et nécessite une décision d’entreprise à haut niveau, toujours aléatoire. Les lignes de forces se déplacent : interaction avec le client final dans une relation client élaborée, tagging à la source et mutualisation des infrastructures et enfin convergence des technologies.
Deuxième conclusion, tous les secteurs économiques sont potentiellement impactés par cette technologie et ses applications.
- La grande distribution est le secteur phare de part son implication dans les usages d’interaction avec le grand public et ses besoins en optimisation de chaînes logistiques intermédiaires. Il existe un terreau favorable grâce à la grande complexité des produits à cycle de vie court. Les intervenants de la table ronde (Auchan et Carrefour) ont montré l’importance de faire des tests qui révèlent les coûts cachés. « Les proofs of concept » sont longs. Reste également à mieux préciser les éléments de la recommandation « silence des puces ».
- Dans l’automobile et l’aéronautique, on se trouve confronté à des process juste à temps et des produits à forte valeur ajoutée. Pour Michelin, Eurocopter et Renault, la RFID n’est qu’un aspect du système de traçabilité, par essence multi-technologique. Il faut parvenir à une réglementation globale en Europe où certains pays conçoivent et d’autres demandent.
- Dans le secteur de la santé, les conditions sont extrêmes et la technologie doit être compatible avec les gestes hospitaliers et médicaux. On peut espérer des gains économiques sur la chaîne logistique. Avec la loi Hôpital, patients, santé et territoires, le périmètre de l’hôpital s’ouvre.
Des processus métier peu automatisés
Cependant, et c’est le troisième point, pour que la RFID se développe à plus grande échelle, des freins restent à lever. Il existe des verrous technologiques liés à la fiabilité des puces et des lecteurs. Le déploiement à grande échelle des services de traçabilité RFID n’est pas « naturel ». Tous les offreurs et utilisateurs ont vécu des moments difficiles de passage du test au déploiement. Il faut se concentrer sur la sécurisation des puces, leur miniaturisation et le fonctionnement en milieu extrême (lecture simultanées, environnement interférentiel).
La RFID entraîne également des questions d’architecture de réseaux, de protocoles et de normes, de logiciels (archivage, nommage…), encore non résolues. Les logiciels devant donner du « sens métier » à ces flux de données brutes s’avèrent très complexes. Il faut aussi un bon dimensionnement des réseaux de télécommunications, pour favoriser le temps réel. Le coût d’intégration d’un système complet de traçabilité RFID constitue également un frein.
Les processus métiers sont finalement peu automatisés. Ils sont bien optimisés pour une utilisation « humaine » mais souvent peu pensés pour la mise en place de systèmes de traçabilité automatique. Parfois très standardisés dans certaines industries, ces processus ne sont que peu améliorés par l’introduction d’une composante RFID.
Autre frein pour la RFID, son impact sur la vie humaine. Citons par exemple la vie privée, le droit à l’oubli ou encore la confusion avec l’Internet des objets. On constate une confusion entre traçabilité des objets et suivi des utilisateurs : dialectique autour du « profilage du consommateur », de la notion de données personnelles et du « silence des puces ». Quid de la destruction des milliards de puces produites ? La formation (employés, utilisateurs) repoussera la science fiction produite à propos des RFID.
Quatrième constat après ces Assises, les opportunités apparaissent grandissantes. La RFID représente un secteur économique important pour l’Europe, aussi bien en offre qu’en utilisation (tourisme, transports, distribution…). L’Europe est le premier continent pour le tourisme et le deuxième pour le transport. Certaines technologies RFID en microélectroniques sont porteuses. Il faut construire ensemble un modèle d’ » éthique des TIC « . En effet, ne pas s’approprier le débat éthique revient à laisser perdurer des peurs. C’est un secteur en pointe du progrès et l’on en attend des réponses prescriptrices. Il ne faut pas laisser aux autres la primeur des sujets mais prendre les devant afin que cela ne nous soit pas reprocher dans l’avenir.
Daniel Nabet, président du comité d’orientation stratégique et scientifique du CNRFID (Centre national RFID) et directeur de l’unité d’affaires M2M chez Orange business services, lors de son discours de clôture des Assises de la RFID du 10 mai 2010
Après avoir dressé ce bilan, quelles recommandations peut-on faire aujourd’hui ? Il faut dans un premier temps encourager le déploiement de normes et de standards. Le CNRFID et d’autres groupes s’y attèlent. Les normes et standards, qui participent à l’acceptabilité, doivent être incarnés par secteurs d’usage. Les recommandations de l’UE doivent anticiper les usages, en étant suffisamment protectrices mais pas trop restrictives, afin d’engager les discussions sur des bases communes.
Une transition approche
Il faut aussi structurer les offres RFID, en accompagnant nos champions nationaux dans leur R et D et en développant les secteurs d’usage. Soutenir les grands acteurs n’est pas antagoniste avec le développement d’un écosystème de PME. 2,5 milliards d’euros vont être dégagés pour le développement des usages (via le grand emprunt national). Des projets tels que le smart grid ou la ville numérique seront éligibles à ces financements et pourront encourager des consortia de grands groupes sur la thématique RFID. La certification RFID est encore relativement vierge en UE. Elle est critique pour la structuration des offres, leur acceptation par les utilisateurs industriels et pour leur acceptabilité par le grand public. Ce fut également une conclusion unanime du conseil d’orientation stratégique et scientifique du CNRFID : il faut susciter la création d’un ou de quelques laboratoires de certifications RFID au niveau européen. Enfin, nous devons favoriser la montée en puissance de « systémiers RFID » capables d’intégrer l’offre dans un package cohérent pour l’utilisateur.
Autre recommandation importante, il est nécessaire de continuer à promouvoir ce secteur d’activité vers les utilisateurs pour déclencher des usages. Pour cela, il faut soutenir les filières métier et leur rendre la technologie tangible. Les pôles de compétitivité et leurs membres publics et privés, par le passage de la recherche appliquée aux services, œuvrent dans ce sens, de même que la DGCIS dans les appels à projets IPER et l’accompagnement public-privé. J’appelle les offreurs à continuer la promotion du RFID vers les entreprises et à développer leur capacité d’intégration et de service dans ce secteur. La RFID est toujours un « marché d’investissement ». Non pas que les projets ne soient pas rentables, mais l’investissement excède encore la rentabilité. La RFID reste un marché de spécialistes et de professionnels. Cependant une transition approche : d’un marché de niche business avec des consolidations, vers une dilution dans le grand public.
Enfin, il faut informer le grand public des avancées de la RFID et s’approprier le débat sur les conséquences sociétales de ces technologies. Cela doit se faire en développant un effort transverse conjoint entre Etats, entreprises et utilisateurs, avec l’implication des organisations représentant le grand public. Nous devons rester vigilants sur ces sujets lors que nous mettons en place des process et des produits.
Par Daniel Nabet
A lire aussi : RFID : ce que dit la loi informatique et libertés (Claire Levallois-Barth – Télécom Paris Tech, intervenante lors des Assises de la RFID)
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