Juin. Pour les lycéens, mois des stressés, mois des pressés. On passe le bac(calauréat), on se prépare à aller en fac(ulté) ou en classe prépa(ratoire). On cherche une coloc(ation) ou une place en cité u(niversitaire). Et pour remplir la chambrette, le mobilier classique de l’étudiant : le canapé-lit pour dormir, le bureau et la chaise pour travailler. Autant la première moitié du matériel peut être douillette, autant on vise le spartiate pour la seconde, comme si les leçons entraient mieux à coups de crampes ou que la concentration passait par la fesse calleuse. Ainsi, dans leur Manuel de l’étudiant, publié en 1965, Abraham Lass et Eugene Wilson expliquent qu’il faut privilégier « une chaise simple, robuste, à dossier droit et sans rembourrage. On étudie mieux quand on n’est pas trop à son aise ou pas trop décontracté. (…) Pour des raisons évidentes, évitez d’étudier dans un canapé, un fauteuil ou un lit. »
Des « raisons évidentes »… C’est vite dit. Quelles « raisons évidentes », se sont demandé deux psychologues américains de l’université de Californie, MM. Gifford et Sommer, tous deux Robert de leur prénom ? Quelles données scientifiques soutiennent ces recommandations ? À la Sorbonne ou à Assas, à Oxford ou à Cambridge, à Berkeley ou à Harvard, a-t-on jamais comparé les résultats des assis et des couchés ? Les chercheurs ont cherché, ils n’ont rien trouvé dans la littérature savante. D’où l’idée improbable, à défaut d’être évidente, d’aller sur le terrain, de faire une expérience en chambres estudiantines.
Tels Dupont et Dupond, Robert et Robert se sont mis à enquêter, à visiter les résidences universitaires après les heures de cours, pour noter si ces jeunes gens étudiaient vraiment et, si oui, où ils le faisaient. Toc, toc, toc, c’est pour un sondage : au bureau ou au pageot ? Les deux chercheurs n’ont pas inclus dans leurs statistiques les états intermédiaires (vautré(e) sur le canapé, allongé(e) à même le sol). Ils se sont introduits, en tout bien tout honneur et avec la bénédiction des autorités universitaires, dans plusieurs centaines de chambres réparties sur huit campus. Au total, 331 étudiants ont rempli les conditions de l’expérience et se sont répartis presque de manière égale dans les deux catégories.
Venait ensuite la partie la plus palpitante du travail : récupérer la moyenne générale de chacun, puis voir si sa position d’étude était ou non corrélée avec les notes obtenues. Les fourmis de bureau allaient-elles enfin toucher les dividendes de leurs souffrances par rapport aux cigales de matelas ? Eh bien… non. L’article conclut qu’il n’existe pas d’écart significatif entre les deux groupes. Même en poussant les choses plus loin, c’est-à-dire en se concentrant sur, d’un côté, les très bons élèves et, de l’autre, sur les très mauvais, les auteurs obtiennent « la même absence de différence ». « Il n’y a aucune preuve, écrivent-ils, que les étudiants-à-bureau obtiennent de meilleurs résultats que les étudiants-pas-à-bureau. »
Robert et Robert en tirent deux conclusions : primo, rien ne justifie qu’on oblige les nouveaux venus à passer un certain nombre d’heures scotchés à leur bureau pendant leurs six premiers mois d’études ; secundo, il serait bon de repenser l’architecture intérieure et l’ameublement des salles d’étude dans les écoles et les universités. Au feu les pupitres, je passe mon bac en hamac.
Précisons tout de même que cette étude est parue en… mai 1968.
Par Pierre Barthelemy
Extrait issu du livre « Improbablologie et au-delà » publié aux éditions Dunod
À quelle heure est-on le plus honnête ?
À quoi reconnaît-on un cochon heureux ?
À toutes ces questions apparemment saugrenues, des chercheurs ont pris le temps de donner une réponse, avec sérieux et méthode à l’appui !
Après le succès des Chroniques de science improbable, Pierre Barthélémy nous invite à un nouveau voyage en improbablologie.
Dans ses chroniques, il explore avec humour et délectation ces petits bijoux de la science improbable, la science qui fait sourire. Et ensuite réfléchir (ou pas…).
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