France Stratégie vient de publier une note d’analyse « Quelle sécurité d’approvisionnement électrique en Europe à l’horizon 2030 ? ». L’organisme placé auprès du Premier ministre tire la sonnette d’alarme en pointant les conséquences potentielles des arrêts de centrales pilotables, suite aux désengagements des centrales au charbon ou nucléaires de certains pays en Europe, dont la France, avec un retrait de plusieurs réacteurs prévu d’ici à 2035.
Les centrales dites « pilotables » sont celles qui répondent (par une baisse de leur production ou une hausse) aux demande des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité chargés de maintenir l’équilibre entre offre et demande électrique ainsi que la tension à chaque instant sur l’ensemble des lignes en Europe… Notamment lors des épisodes de « pointe » (capacité maximale nécessaire) en hiver (pour le chauffage lors d’une vague de froid inférieure aux moyennes) et en été (pour la climatisation, lors d’une vague de chaleur extrême). Par opposition, les énergies renouvelables électriques produisent de manière variable (en fonction de la météo notamment) un courant qui est, dans la majorité des cas, injecté sur le réseau sans aucune restriction.
France Stratégie rappelle d’abord que les possibles défaillances du système électrique viennent d’être remises en avant quand, à l’automne dernier, le gestionnaire du réseau français, RTE, a mis en garde sur de potentielles difficultés d’approvisionnement en cas de grand froid cet hiver, alors que ce sujet avait « quasiment disparu des préoccupations du grand public » et a été d’une manière générale très peu intégré dans le débat public sur l’énergie.
L’organisme public signale que « des objectifs très ambitieux de développement d’énergies renouvelables ont été décidés, mais les solutions en termes de pilotage et de maîtrise de la demande, de capacités de stockage et, plus généralement, de flexibilité et d’intégration au réseau restent à l’heure actuelle insuffisamment développées. La capacité à assurer la sécurité d’approvisionnement telle qu’elle est définie aujourd’hui est donc incertaine dans les périodes de tension et nécessitera un développement approprié des solutions de flexibilité et de stockage. »
Retrait du pilotable, montée des ENR
France Stratégie indique que « dans les prochaines années, la plupart des gouvernements européens envisagent de déclasser d’importantes capacités de production pilotable ». D’ici à 2030-2035, Elia, le GRT belge, évalue dans l’édition de 2019 de son étude biannuelle que ce seront plus de 110 GW de puissance pilotable qui seront retirés du réseau européen, dont 23 GW de nucléaire (environ 13 GW en France, selon la PPE, et 10 GW en Allemagne), 70 GW de charbon/lignite (dont environ 40 GW en Allemagne) et 10 GW de gaz ou fioul. En outre, le Royaume-Uni devrait encore enlever 4 GW de charbon, dans le cadre de sa stratégie progressive (horizon 2025) de sortir de cette énergie fossile. De même, en Italie, ce sont 6 GW au charbon qui devraient être mis hors réseau d’ici à 2025, et en Espagne 9 GW à ce même horizon.
En outre, parallèlement à ces retraits de capacité, « dans le cadre de leurs différentes transitions énergétiques, les pays européens se sont fixé des objectifs très ambitieux de développement de l’éolien (terrestre et maritime) et de solaire photovoltaïque (PV). Ainsi en 2030, près de 200 GW d’ENRi [énergies renouvelables intermittentes, selon l’appellation de France Stratégie, NDLR] devraient être installés en Allemagne d’après la dernière loi EEG 21, et 75 GW en France, 20 GW en Belgique, 100 GW en Espagne, 70 GW en Italie, etc. » indique France Stratégie.
Bilan, selon l’organisme ministériel : « dès 2030 et vraisemblablement à une date plus rapprochée, si les tendances actuelles se maintiennent, les seuls moyens pilotables ne seront pas en mesure de satisfaire toutes les demandes de pointe moyennes ».
Pour l’Allemagne et la Belgique, le risque pourrait même se présenter bien avant… Et pour parer à ce déficit de moyens pilotables, les deux pays envisagent en outre de remplacer une partie de leurs capacités par des centrales à gaz, en contradiction avec les objectifs européens en matière d’émissions de gaz à effet de serre, récemment revus à la hausse.
Des recommandations
Rappelant que l’intégration des renouvelables intermittentes dans le système électrique ne pose pas de problème tant qu’elles n’en représentent qu’une part, cette situation change quand elles vont représenter une part équivalente, voire supérieure à celle des centrales pilotables.
« Les solutions en termes de pilotage et de maîtrise de la demande, de capacité de stockage et, plus généralement, de flexibilité et d’intégration au réseau restent actuellement insuffisamment développées », insiste la note de l’organisme.
Au-delà du constat, France Stratégie fait ainsi une série de recommandations. Notamment, pour les ENR, il est recommandé, « au risque de rendre non pilotable le système électrique », de faire en sorte que, « le plus rapidement possible », elles soient « en mesure de contribuer à son équilibre technique (participation à la réserve, au traitement des congestions réseaux…) ».
Par ailleurs, ce nouveau « paradigme » implique une plus grande coordination entre les structures d’approvisionnement des différents pays, estime le document. « Cela doit être possible sans remettre en cause le principe de subsidiarité via des travaux de mise en cohérence des différents scénarios nationaux. Des coopérations existent, mais elles devraient être renforcées et institutionnalisées à une échéance la plus rapprochée possible, par exemple au travers de groupes de travail communs aux différentes administrations », insiste France Stratégie. Et si le nouveau paquet législatif européen constitue un « progrès » en ce sens, la note d’analyse juge que cela sera « insuffisant pour fournir les signaux économiques adéquats ».
Sans oublier, insiste la note, qu’il faut éviter la contradiction entre indépendance énergétique et objectifs climatiques. Ainsi, « la politique communautaire doit mettre au premier plan l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin d’inscrire les investissements dans une trajectoire cohérente avec nos objectifs à horizon 2050 ». Et il s’agit notamment, indique France Stratégie, d’achever la réforme du marché européen du carbone, « toujours en attente des réformes structurelles permettant de fournir un signal-prix clair pour les investissements de long terme », plus particulièrement en étudiant « de près » un prix plancher et un prix plafond.
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