[Illustration : Jean-Marc Four / Source : France-Culture – C.Abramowitz]
C’est une chronique qui sonne comme un signal d’alarme pour tous les médias grand public. « Tout le monde a semblé se réveiller… effaré, devant l’ampleur gigantesque des pertes [d’Areva], 5 milliards d’euros. Cet effarement est à l’aune de l’énormité de l’échec industriel » tonne Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter, après avoir été directeur-adjoint de France Culture et notamment rédacteur en chef et producteur de l’émission « Le secret des sources. »
« Mais (cet effarement) démontre aussi que nous avons tous été, les médias au premier chef, un peu… naïfs sur le sujet… » a-t-il affirmé le 6 mars 2015 à l’antenne aux côtés de Patrick Cohen, le journaliste le plus écouté de France.
Un débat sur la politique éditoriale en matière d’EPR a émergé au sein de l’équipe rédactionnelle des Techniques de l’ingénieur suite à la publication le 14 avril 2014 de l’article « Nucléaire EPR : le quotidien finlandais de référence dénonce son coût exorbitant ». Un internaute, ouvertement pro-nucléaire, écrivait notamment dans un commentaire suite à l’article : « on retrouve ici les termes ‘coûts astronomiques’, ‘gouffre financier’ qui n’ont rien à faire dans la bouche d’un journaliste » ajoutant que cela relevait d’une « très grande partialité ». Nous avons pris le temps de la réflexion et décidé de publier une réponse complète : « L’éolien, le solaire et le nucléaire. Le débat »
Pour le directeur de la rédaction de France Inter il existe un « aveuglement Areva » en France. Cet aveuglement explique probablement les difficultés qu’ont certaines personnes, liées ou non au business du nucléaire (comme le souligne Jean-Marc Four, ne soyons pas « naïfs »…), à constater que le déficit d’Areva constitue objectivement un gouffre financier. Elles en viennent à considérer que celles et ceux qui font ce constat, Finlandais ou Français, sont forcément intellectuellement malhonnêtes.
Un État dans l’État
« On aurait pu réaliser que les géants du nucléaire nous …cachent des infos ! Et ça ne date pas d’aujourd’hui » constate avec regrets Jean-Marc Four. « Le coût du nucléaire en France, c’est… opacité à tous les étages ! (…) Résultat : un Etat dans l’Etat. Face auquel obtenir des informations fiables relève du défi » ajoute-t-il. Les journalistes sérieux doivent avoir le courage de relever ce défi. C’est une question de déontologie.
Mais pour Jean-Marc Four le « match » est « déséquilibré » entre la presse et le milieu nucléaire. Selon lui il y a « d’un côté, une petite poignée de journalistes spécialisés sur les questions énergétiques, c’est-à-dire à même d’appréhender, à la fois, des bilans financiers et des enjeux environnementaux. ». Il est vrai que les rédactions n’ont pas forcément sous la main des journalistes scientifiques, et encore moins des journalistes scientifiques spécialisés dans le domaine de l’énergie, domaine qui peut être assez ardu. « De l’autre des bataillons de communicants avec des moyens de pression réels. Exemple : il y a 3 ans, La Tribune publie un article évoquant l’hypothèse d’un « renoncement » à l’EPR. Quelques jours plus tard, EDF suspend son budget publicitaire dans le journal. Radical » rappelle le directeur de la rédaction de France Inter.
C’est un vrai problème. Face au poids des communicants d’EDF (s’affichant comme tels ou prétendument en tant qu’ « experts indépendants » dans les médias ou à la TV), les journalistes avec peu de culture dans ce domaine technique ont du mal à faire face. Et c’est au final la qualité du débat démocratique qui est perdant, ce qui est très problématique en période de débats sur la transition énergétique. « Reste (…) qu’on aurait pu se douter qu’un drame industriel majeur nous pendait au nez dans le secteur… » estime Jean-Marc Four.
Pour le journaliste de France Inter il existe « une forme d’aveuglement idéologique et cocardier. Le nucléaire, en France, c’est… une forme de dogme (…) Or, on le sait, il existe, sans que ce soit de la connivence délibérée, une forme de porosité entre le discours des élites… et celui des médias ». On touche ici au fond du problème.
Garder son esprit critique
Pour contribuer à limiter cette porosité Jean-Marc Four invite ses collègues journalistes à se poser les questions suivantes :
« Le rapprochement Areva / EDF est-il vraiment la bonne solution ? » Sur Twitter le Vice-Président de l’Assemblée Nationale Denis Baupin (EELV) s’interroge : « l’hypothèse d’une fusion EDF-AREVA fait perdre 3% en Bourse à EDF ! Nucléaire une « énergie d’avenir » : vraiment ? ». Parallèlement Areva annonce abandonner ses activités EPR aux USA. Curieux pour une « énergie d’avenir ».
Jean-Marc Four pose une deuxième question : « qui va payer les 5 millliards d’Areva ? Difficile de penser que ce ne seront pas les salariés, et les contribuables. »
Et enfin, « troisième question, cruciale : quelle est la viabilité économique de ce « business model » du nucléaire, qui certes a, jusqu’à présent, garanti l’indépendance énergétique de la France, mais qui aujourd’hui est peut-être … périmé ! »
A l’heure où les contrats dans le solaire PV sont signés dans le monde à des niveaux aussi bas que 5 centimes le kWh et où la Deutsche Bank annonce que le coût incrémental du stockage par batterie sera de l’ordre de 2 centimes par kWh en 2020, le nouveau nucléaire constitue-t-il vraiment une énergie d’avenir ? La question, véritablement stratégique, mérite d’être posée en toute transparence. Chercher à faire baisser frauduleusement les coûts de l’EPR de Flamanville en payant au noir un demi-millier d’étrangers, est-ce cela l’avenir de la France ?
Anne Gouzon de la Documentation de Radio France a mentionné sur le site de France Culture, dans sa revue de web datée du 27 février, la chronique « Le Fukushima d’Areva » que nous avons publiée le 25 février 2015 sur Techniques de l’ingénieur. Nous espérons que les articles de la rubrique énergie continueront de féconder à leur petite échelle le débat sur notre avenir énergétique commun.
Olivier Daniélo
Cet article se trouve dans le dossier :
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