Les calottes du couvercle et du fond de cuve de l’EPR de Flamanville ont été fabriquées par Creusot Forge, filiale du groupe Areva. Areva vient de déclarer à l’ASN une anomalie de fabrication portant sur ces pièces. « Ces zones présentent des anomalies d’homogénéité et on a des zones de faible résistance mécanique intrasèque des matériaux, assez nettement plus faibles que la référence qui est dans la réglementation», explique Pierre-Franck Chevet, Président de l’ASN. La réglementation fait référence à une valeur de résilience – la capacité d’un matériau à résister à un choc mécanique et à la propagation de fissures – de 60 Joules (J). Les valeurs mesurées par Areva sont situées entre 36 J et 64 J, pour une moyenne de 52 J. Cela est dû à une teneur en carbone de l’acier plus éleée que prévue (0,30% pour une valeur visée de 0,22%).
« Le jugement que l’on porte sur cette anomalie, c’est que c’est une anomalie sérieuse, voire très sérieuse, qui, en plus, intervient sur un composant crucial en termes de sûreté, prévient Pierre-Franck Chevet. La cuve, qui pèse 425 tonnes et mesure 11 mètres contient en effet le coeur du réacteur et sert de deuxième barrière de confinement aux éléments radioactifs.« Areva va faire des propositions d’essais sur des matériaux similaires pour essayer de démontrer qu’éventuellement ça peut passer », prévient le Président de l’ASN.
La réglementation prévoit une échappatoire
Si la réglementation relative aux équipements sous pression nucléaires impose que les propriétés du matériau soient supérieures à des valeurs minimales définies par décret, un fabricant peut choisir de ne pas respecter ces valeurs minimales, s’il justifie de la mise en oeuvre de dispositions permettant d’obtenir un niveau de sécurité global équivalent. Areva entame donc des tests complémentaires pour démontrer que le matériau de la cuve peut se déformer sans se rompre et résister à la propagation d’une fissure sous contrainte mécanique. L’entreprise devra définir précisément la localisation de la zone concernée, ainsi que ses propriétés mécaniques et transmettre son dossier d’essais à l’ASN. L’ASN instruira ce dossier, avec l’IRSN et le Groupe permanent d’experts dédié aux équipements sous pression nucléaires. Ces résultats sont attentus pour le mois d’octoobre, selon le ministère de l’écologie.
Les tests ne pouvant pas se faire directement sur la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville, des essais destructifs complémentaires de traction et de résilience vont être réalisés sur la calotte supérieure d’une cuve similaire réalisée dans les mêmes ateliers de Creusot Forge, selon le même procédé. Les experts devront donc être convaincus de la reproductibilité du procédé de fabrication de Creusot Forge et s’assurer qu’il n’y a pas de risque de fissuration. Le Président de l’ASN reste très prudent. « [La résilience] est un indicateur de qualité de matériau. Effectivement, il n’est pas atteint. Mais ce n’est pas parce que l’on n’atteint pas ce critère qui est parfait, que c’est inacceptable. Je ne dis pas non plus que c’est acceptable», indique-t-il. Car la qualité d’un matériau est définie par bien d’autres critères. Les essais complémentaires devront dire si cela est acceptable ou non.
Un enjeu énorme pour Areva
Si le dossier d’Areva n’est pas accepté par l’ASN, il lui faudra remplacer la cuve. Les travaux étant déjà assez avancés – les boucles primaires et un des générateurs de vapeur de l’EPR de Flamanville ont déjà été soudés à la cuve -, cela lui sera très coûteux et difficile à réaliser, voire peut-être impossible. Cette éventualité est inquiétante pour Areva et EDF, étant donné la situation financière actuelle très difficile d’Areva, et les surcoûts déjà observés sur ce prototype.
Mais les perspectives négatives ne s’arrêtent pas là. Si les essais complémentaires ne convainquent pas l’ASN, les deux autres EPR en construction à Taishan en Chine, seraient menacés, car certaines calottes de leurs cuves ont aussi été forgées par Creusot Forge, selon un procédé similaire. Ce n’est pas le cas de celui d’Olkiluoto en Finlande, la cuve provenant d’un autre fournisseur japonais.
EDF a transmis à l’ASN l’autorisation de mise en service de l’EPR de Flamanville il y a quelques semaines. Le dossier de près de 40 000 pages sera instruit par ses experts. Outre le dossier en question, l’autorisation de mise en service ou non, d’ici 2017 au plus tôt, sera soumise aux résultats des tests portant sur la cuve.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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