342 000 sites aux sols contaminés sont recensés en Europe, dont environ 30 % par des hydrocarbures. Un nombre probablement sous-estimé et qui pourrait en réalité atteindre jusqu’à deux millions et demi. À l’origine de ces pollutions, la présence d’entreprises de pétrochimie sur ces terrains ou des stations-service dont les réservoirs ont fui. Actuellement, la méthode pour analyser ces sols consiste à envoyer un échantillon de terre dans un laboratoire agréé. Elle nécessite par contre l’utilisation d’appareils lourds et coûteux comme un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse. Cette méthode demande également l’emploi de solvants pour extraire les polluants du sol avant analyse. Des scientifiques du Laboratoire de chimie de l’environnement et de l’Institut de chimie radicalaire, associés à la société Environnement Investigations, ont développé une nouvelle approche applicable directement sur le terrain, moins coûteuse et plus verte. Ce travail de recherche vient d’être publié dans la revue Analytical Chemistry.
La méthode ne nécessite aucun solvant
La technique repose sur l’utilisation d’un appareil à infrarouge de petite taille, transportable et dont le prix s’élève à environ 15 000 euros. Il doit être équipé d’un module ATR (Attenuated Total Reflectance) ; il s’agit d’un diamant de forme carrée mesurant un demi-centimètre de côté et sur lequel est placé l’échantillon à analyser. Dans le passé, des méthodes infrarouges ont déjà été utilisées, mais ont dû être abandonnées car elles employaient des solvants, comme le tétrachlorure de carbone et le trichlorotrifluoroéthane, très nocifs pour la couche d’ozone et très toxiques. Leur utilisation a donc été interdite par les laboratoires pour extraire des polluants. « Notre méthode ne nécessite aucun solvant. Les polluants présents dans le sol sont extraits en chauffant l’échantillon à 300 degrés pendant 40 minutes », explique Sébastien Maria, enseignant-chercheur, à l’Institut de chimie radicalaire.
Les scientifiques ont mis au point une pastille métallique d’un centimètre de diamètre sur laquelle ils ont déposé un film de silicone grâce à des méthodes de spin coating, un procédé d’enduction centrifuge permettant la pose rapide de ce film. Ce support métallique est ensuite fixé au-dessus du tube contenant l’échantillon de terre à chauffer grâce à la présence de deux aimants. En s’évaporant, les hydrocarbures sont alors absorbés par le silicone. La pastille métallique avec cette couche de silicone est ensuite posée sur le module ATR du spectroscope infrarouge afin de réaliser l’analyse dont le temps n’excède pas deux minutes.
Pour ce travail de recherche, des sols ont été volontairement dopés avec des quantités déterminées d’hydrocarbures afin de construire des courbes pour calibrer les résultats obtenus. Le spectroscope infrarouge est à présent capable de détecter des hydrocarbures à partir d’un seuil d’environ 300 mg de polluants par kg d’échantillons de sol. « Nous obtenons un résultat qui est en dessous de la valeur recommandée de 500 mg par kg de sol, complète le chercheur. Notre méthode répond donc aux exigences réglementaires. Elle est aussi beaucoup plus rapide puisqu’elle peut se réaliser sur le terrain (compter environ 50 minutes entre le chauffage de l’échantillon et l’analyse). L’appareillage étant peu coûteux, n’importe quelle entreprise pourra s’équiper. Enfin, notre procédé est écologique puisqu’il n’utilise aucun solvant. »
Des difficultés à extraire les hydrocarbures dans des sols argileux
Seul bémol, cette méthode donne de moins bons résultats en présence de sols argileux. Les hydrocarbures se retrouvent en effet coincés entre les feuillets d’argile. Et chauffer l’échantillon à 300 degrés n’est pas suffisant pour parvenir à les extraire. En augmentant cette température, il serait possible d’y parvenir, mais cela risquerait de chauffer fortement le tube contenant l’échantillon et au final d’endommager le silicone présent sur la pastille métallique. « On pourrait imaginer un système permettant de refroidir le haut du tube et ainsi préserver le silicone afin de réussir à extraire les hydrocarbures dans un sol argileux, analyse Sébastien Maria. Nous allons demander un autre financement pour poursuivre ce travail de recherche. »
Dans une publication à paraître prochainement, les scientifiques ont également développé une autre méthode à nouveau basée sur l’infrarouge, mais utilisant cette fois-ci un solvant beaucoup moins nocif pour l’environnement que ceux employés dans le passé : le pentane. Ils ont réussi à démontrer qu’il permet d’extraire les hydrocarbures dans le sol, quelle que soit leur nature, même ceux argileux. En s’évaporant, le pentane laisse apparaître un film d’hydrocarbure qui est ensuite analysé grâce à un spectroscope infrarouge. « Nous obtenons également de très bons résultats avec une limite de détection inférieure à ce que nous obtenons avec la première méthode développée, ajoute le chercheur. Mais l’inconvénient est que cette fois, nous utilisons un solvant. »
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