Décryptage

Améliorer la recyclabilité du produit automobile : quel intérêt stratégique ? (1/3)

Posté le 6 février 2012
par La rédaction
dans Énergie

[Première partie]
Depuis quelques années, l’humanité prend conscience de son impact sur l’environnement. Par l’effervescence de l’ingéniosité humaine, de nombreux nouveaux concepts et théories idéologiques émergent. Chacun d’eux vise à promouvoir une intégration plus respectueuse de l’environnement et de la dimension sociale dans les activités humaines. Première partie.

L’industrie automobile n’en est pas en reste. Souvent décriée, elle est aujourd’hui très consommatrice de ces nouvelles tendances environnementales. Les innovations et les stratégies commerciales poussées par les constructeurs automobiles vont toutes en ce sens : réduction de la consommation des véhicules, utilisation d’énergies alternatives, hybridation de la chaine de traction, utilisation de biomatériaux …

Par autant, tous ces concepts ne sont pas toujours des succès. Pourquoi ? Pour qu’une idée réussisse, voire prospère, il est nécessaire qu’elle puisse sortir de sa justification purement intellectuelle pour trouver une existence concrète et une justification propre au sein dans notre société libérale.

En d’autres mots, il est nécessaire que toute initiative soit régie par un modèle économique qui soit viable dans les conditions technico-économiques du moment. La pertinence économique d’une activité ne peut être acquise seulement par l’obtention de subventions ou d’avantages fiscaux. Certes, cela peut inciter à sa création, mais cela ne peut constituer son fondement économique. Une viabilité économique acquise selon les préceptes de l’économie de marché et du libre-échange est nécessaire pour inscrire dans la durée une innovation.

Dans cet esprit, l’entreprise Faurecia, équipementier automobile, cherche à définir les business models de demain qui lui permettront de maintenir, voire de développer son activité. L’entreprise cherche à évaluer ce que peut apporter le concept du développement durable pour le développement de son activité. La société s’intéresse notamment à l’intérêt d’une approche Cradle to Cradle dans le développement de ses produits. suite

L’approche Cradle to Cradle

Le concept de Cradle to Cradle a été élaboré dans les années 1990 par William McDonough, architecte, et Michael Braungart, docteur en chimie. Ils ont créé en 1995 la société de conseil MBDC « McDonough Braungart Design Chemistry » pour la promotion de ce concept.

La vision qu’ils cherchent à diffuser à travers leur philosophie est qu’il est possible et nécessaire de changer notre manière d’éco-concevoir les produits. Ils expliquent que la seule logique de réduction et de minimisation des impacts environnementaux n’est pas suffisante. Ils argumentent cela en expliquant notamment que cette logique n’a pour résultat que de retarder les difficultés contre lesquelles elle se bat : même si on arrive à consommer moitié moins de matière pour la production de nos produits, on en consomme toujours la moitié ; si cette matière est non renouvelable, il arrivera un jour où l’on ne pourra plus produire.

Leur doctrine cherche à rompre la vision linéaire du « berceau à la tombe » qui est actuellement usitée en éco-conception. Ils mettent en exergue notamment que même si on cherche à réduire l’impact environnemental de nos produits en fin de vie en promouvant le recyclage, ce dernier ne permet jamais de réutiliser la matière dans les mêmes applications. La matière est le plus souvent dégradée. Elle ne peut plus être utilisée aux mêmes spécifications. Elle peut être mélangée à de la matière vierge ou à des additifs permettant de masquer ses effets, mais cela ne lui permet jamais d’atteindre les propriétés physiques précédentes. Le fait est qu’après un, voire deux cycles dans le meilleur des cas, la matière finit par ne plus être exploitable.

Inspirer par le fonctionnement des écosystèmes, ils cherchent par leur méthodologie à faire disparaitre la notion même de déchet. Pour cela la matière ne peut pas être dégradée ou dévalorisée, elle pourrait ainsi s’inscrire véritablement dans un cycle de Cradle to Cradle. Leur méthodologie décrit ainsi deux types de cycles nécessaires à l’atteinte de cet objectif (voir ci-dessous) :

Ils divisent donc la matière en 2 catégories : la matière issue de la biosphère et la matière issue de procédés techniques. Un produit peut être composé de ces deux matières, le tout est de pouvoir aisément les séparer lorsque le produit arrive à sa fin de vie. Ainsi, la matière biologique peut retourner nourrir la biosphère et la matière technique être réutilisée à iso performance pour la production d’autres produits. Il est aussi nécessaire que, si le produit utilise des nutriments techniques différents, ces composants soient séparables en fin de vie. Un contre-exemple dans les systèmes actuels est le mélange de polypropylène et de polyéthylène inséparables. Le polyéthylène réduit la cohésion des chaînes de polymère de polypropylène, ce qui dégrade les propriétés mécaniques de la matière recyclée. suite

Comprendre le recyclage

Le livre « Remaking the way we make things » écrit par les fondateurs de la démarche peut être un bon exemple pour comprendre ce qu’est une bonne conception selon eux. Ils sont partis du postulat que le recyclage du papier n’était pas une bonne solution.

Le papier recyclé n’est pratiquement jamais complètement issu de matière recyclée : des fibres vierges sont toujours ajoutées à hauteur de 25% à 50%. Il est toujours de qualité inférieur, si bien qu’il est reconnaissable tout de suite sur les étalages des librairies. Dû à l’absence d’utilisation du chlore pour blanchir le papier, il a un aspect vieux et gris. Le mauvais contraste de l’encre avec le papier rend, d’autre part, la lecture moins confortable.

Ils ont donc remis en question l’utilisation traditionnelle du papier en réalisant un livre à base de polymère. En effet, l’avantage des polymères est que, lorsqu’ils ne sont pas pollués ou souillés, ils gardent leurs propriétés après recyclage. L’encre utilisée est non toxique, bio sourcée et bio dégradable, si bien qu’en fin de vie du livre, il suffit de le plonger dans un bain d’eau chaude pour que l’encre se retire de son support. Le polymère, libéré de son encre, peut être réutilisé pour les spécifications qui étaient les siennes au départ.

Ce livre s’inscrit donc bien dans les cycles précédemment exposés. De plus, il peut se vanter d’une robustesse supérieure au livre actuel (notamment face à l’humidité) et d’un confort de lecture optimum.

(deuxième partie de l’article à paraître le 15/02)

 

Par 

Quentin Weymuller

Chef de projet Innovation, FAURECIA

Philippe Aumont

Responsable plan produit et innovation, FAURECIA

et

Jasha Oosterbaan

Enseignant-chercheur, MINES ParisTech

Responsable des Mastères Spécialisés QSE-DD et Santé-Environnement, ISIGE – MINES ParisTech

 

Article réalisé dans le cadre du Mastère Spécialisé Ingénierie et Gestion de l’Environnement de l’ISIGE – MINES ParisTech

 

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