Des scientifiques du laboratoire 3SR (Sols, solides, structures, risques) ont étudié le papier afin de mieux comprendre et modéliser les risques de rupture des matériaux quasi-fragiles, à l'image du béton. Leurs travaux pourraient permettre de faire le lien entre l'évolution des forces exercées sur ce type de matériaux et la nature de leur endommagement.
Bétons, composites, mais aussi certaines roches ont tous pour point commun de contenir de nombreuses hétérogénéités. Leur comportement est qualifié de quasi-fragile, car leur rupture, sous l’action d’une contrainte, résulte de microfissurations progressives, dans une zone d’endommagement située autour d’une fissure principale, et qui peuvent conduire à la rupture complète du matériau. Ces matériaux ont la particularité d’être opaques et massifs, ce qui limite les observations directes du phénomène. Des chercheurs du laboratoire 3SR (Sols, solides, structures, risques) se sont servis du papier comme modèle de matériaux quasi-fragiles afin de comprendre et de modéliser leurs risques de rupture. Leurs travaux ont fait l’objet d’une publication dans la revue International Journal of Fracture.
« Nous avons utilisé le papier pour étudier les risques de rupture d’autres matériaux comme le béton, car ce matériau est plus facile à fissurer en laboratoire et a l’avantage de révéler sa microstructure à la lumière visible, déclare François Villette, actuellement chercheur post-doctoral au Laboratoire Georges Friedel. Si l’on regarde une feuille de papier à la lumière, on aperçoit des variations d’intensité lumineuse qui correspondent aux agrégats de fibres générés lors du procédé de fabrication du papier. Ces agrégats de fibres peuvent être assimilés aux agrégats présents dans le béton sous la forme de graviers. »
L’étude du papier a consisté à procéder à des essais de traction sur des bandelettes rectangulaires, en étirant chacune de leurs extrémités et à observer ce qui se produit. Ce matériau étant quasi-fragile, son endommagement est progressif et se diffuse d’un bout à l’autre de l’échantillon. Des enregistrements ont permis de tracer des courbes représentant l’évolution de la force exercée par la traction jusqu’à la rupture complète de l’échantillon.
Cette force de traction augmente progressivement jusqu’à un pic, puis chute au moment de l’endommagement du papier et qu’il perd de sa rigidité. Lors de cette baisse, en raison de l’hétérogénéité du matériau, des fluctuations des forces de traction sont observées. Les scientifiques ont alors analysé leur distribution statistique en amplitude afin d’y trouver la signature des hétérogénéités. Ils sont parvenus à faire un lien entre la baisse de force et la nature de l’endommagement.
Mise en évidence de deux régimes de distribution des chutes de forces
« L’étude statistique des chutes de forces classées par amplitudes a permis d’observer un premier régime de distribution, qui est toujours présent quel que soit l’endommagement, et qui se caractérise sur un graphique par une droite correspondant à une loi puissance, révèle François Villette. On retrouve avec un simple capteur de force un résultat déjà connu dans la littérature en utilisant d’autres dispositifs, d’émission acoustique par exemple, et qui s’applique à tous les phénomènes critiques, comme les séismes. Nos travaux ont également permis de mettre en évidence un deuxième régime qui se caractérise par une déviation des plus grandes chutes de forces par rapport au tracé de cette droite et qui s’observe sur les échantillons ayant rencontré une propagation de fissures. Plus ce deuxième régime est important et plus nous observons une propagation franche de la fissure. »
Cette découverte est à mettre en relation avec une précédente étude réalisée par la même équipe du laboratoire 3SR et qui a fait l’objet d’une publication dans la revue Acta Mechanica. Le dispositif expérimental était le même avec des bandelettes de papier rectangulaire soumises à des forces de traction à leurs extrémités. Sauf qu’au lieu d’étudier la distribution statistique des chutes de forces, les scientifiques ont observé, à l’aide d’une caméra, la zone d’endommagement qui a la particularité de s’assombrir lorsque les liens entre les fibres de papier se rompent.
« Nous observons un changement de forme, avec au départ une zone d’endommagement petite et circulaire qui, en grossissant, finit par s’allonger dans la direction de la propagation de la fissure, ajoute François Villette. Plus la taille de la zone d’endommagement est grande et plus la chute de force mesurée est grande. Même si les chutes de forces ne sont pas directement celles que nous avons observées dans l’étude sur leur distribution statistique, nous avons tout de même de bonnes raisons de penser que la forme de la zone d’endommagement et les régimes dans la distribution statistique sont liés. La prochaine étape de ce travail de recherche consisterait à faire le lien entre la distribution statistique des chutes de forces et la zone d’endommagement pour améliorer la modélisation des risques de rupture des matériaux quasi-fragiles. »
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