Le ministère de l’environnement allemand a récemment annoncé le lancement d’une étude sur les effets des nanoparticules sur la santé en partenariat avec l’Institut fédéral pour la sécurité et la santé au travail (BAuA) et BASF, l’un des leaders mondiaux de l’industrie chimique.
Un projet d’envergure, par sa durée – les études s’étaleront sur quatre ans – et son objet : les effets possibles à long terme sur les poumons d’une exposition à de faibles doses de nanoparticules. En fonction des résultats, des seuils maximaux d’exposition pourraient être définis afin de protéger les travailleurs.
Polémique sur l’objectivité des futurs résultats
Alors que le Ministre fédéral de l’environnement, Norbert Röttgen, se félicite de ce partenariat public-privé, soutenant que cette coopération entre organismes publics et industriel est inédite et exemplaire, d’autres remettent en cause, à l’avance, l’impartialité et l’objectivité des résultats. En cause : le fait d’avoir confié à BASF, à la fois juge et partie, la mise en oeuvre de cette étude. Car l’entreprise allemande est en effet l’un des principaux producteurs de nanomatériaux.
Certains voient en effet dans ce partenariat une source potentielle de conflit d’intérêt : « Comme si on avait demandé à Philip Morris d’évaluer la toxicité de ses cigarettes… » commentait ainsi le 16 mai « Napakatbra » sur le site Les mots ont un sens. Et Agnès Rousseaux de Bastamag de renchérir le 21 mai : « Pourrait-on confier une étude sur les méfaits du Mediator aux laboratoires Servier ? Ou une étude sur le risque nucléaire à Areva, ou sur les cancers de l’amiante au secteur du BTP ? ».
En 2010, Novethic avait souligné le rôle pionnier joué par BASF en matière de recherche, prévention et communication sur les risques associés aux nanotechnologies. Aussi avons-nous souhaité en savoir plus.
L’examen du site internet de l’entreprise confirme l’implication précoce et active de BASF dans le domaine de la recherche en toxicité sur les nanotechnologies ; l’entreprise y met d’ailleurs en avant le fait qu’elle est l’une des rares à réaliser elle-même des recherches sur les risques des nanomatériaux dans son propre service de toxicologie et écologie, dont elle publie effectivement les résultats sur son site internet. Parmi ces études, certaines établissent la toxicité de certains nanomatériaux; l’entreprise n’a donc pas caché des résultats confirmant les craintes relatives aux risques associés aux nanomatériaux. Pour autant, comment s’assurer que les quelques études en question ne sont pas l’arbre qui cache la forêt, autrement dit une façon pour l’entreprise de montrer patte blanche : « voyez, nous sommes honnêtes, vous pouvez nous faire confiance »… Novethic considérait en 2010 que les entreprises leaders dans le domaine de la chimie « ont une communication transparente parce qu’elles s’adressent à leurs clients potentiels et qu’elles souhaitent les convaincre. Elles sont, de plus, surveillées de près par les agences de sécurité sanitaire et environnementale et les ONG environnementales ».
Nous avons sollicité les Amis de la Terre Allemagne qui ont pu dialoguer directement avec BASF et nous transmettre des renseignements permettant d’éclairer la controverse.
Un encadrement strict du projet ?
BASF met en avant l’encadrement strict prévu pour le projet : selon l’entreprise, il a été conçu de façon à assurer une indépendance et une crédibilité maximales. Sa direction et sa coordination seront assurées par le ministère, l’évaluation des résultats par le BAuA, l’Agence fédérale de l’environnement et l’Institut fédéral pour l’évaluation des risques ; et un groupe consultatif externe de scientifiques internationaux accompagnera les recherches scientifiques (il sera composé de scientifiques de l’université de Rochester, de l’université de Duisburg-Essen, de l’Institut Fraunhofer pour la toxicologie et la médecine expérimentale, et de l’Institut néerlandais de santé et d’hygiène).
Pour autant, l’histoire et l’actualité témoignent malheureusement de ce que le nombre et le prestige des experts impliqués ne sont pas des remparts infranchissables contre les conflits d’intérêt.
Pas d’intérêt commercial en jeu ?
Qu’à cela ne tienne. BASF a un autre argument de taille : le choix s’est porté sur des nanoparticules fréquemment utilisées à l’échelle industrielle mais ne faisant pas partie des nanomatériaux fabriqués par BASF, qui revendique donc le fait de ne pas avoir d’intérêt commercial en jeu : des nanoparticules de sulfate de baryum (qui servent notamment à la stabilisation des matières plastiques) et des nanoparticules d’oxyde de cérium (utilisées comme catalyseur de carburant ou dans la dépollution des moteurs diesel).
Ceci dit, un additif à base de nano-oxydes de cérium serait commercialisé par la firme Rhodia sous le nom de Cérine Eolys®. Les esprits méfiants auront tôt fait de dénoncer l’existence d’un trust – « pourquoi pas une entente officieuse entre géants de la chimie pour minimiser les effets toxiques des nanos ? » – ou à l’inverse, de soupçonner le géant allemand de vouloir torpiller les activités de son concurrent français ?
Qui paie le bal mène la danse ?
Enfin, le communiqué de presse conjoint à BASF et au gouvernement allemand fait état d’un budget global de cinq millions d’euros, sans que soit précisée la répartition entre financements publics et financements privés.
Selon l’entreprise BASF, cette dernière apporterait 3,5 millions d’euros et l’Institut fédéral pour la sécurité et la santé au travail (BAuA) 1 million. Ce que l’entreprise considère comme un gage de sa volonté de participer à l’effort national de recherche sur les risques des nanomatériaux peut ici être retourné contre elle : selon l’adage « qui paie le bal mène la danse », il pourrait lui être reproché de vouloir ainsi influencer les résultats. Ce à quoi BASF rétorque qu’il lui est quasi impossible d’échapper à ce procès d’intention ; l’entreprise se retrouverait face au « dilemme » suivant : si elle ne faisait pas de recherche sur les risques, il lui serait alors reproché d’agir de manière irresponsable, l’Etat devrait alors prendre en charge cette recherche et le contribuable serait en droit de contester le financement sur fonds publics de recherches sur la toxicité de produits commercialisés et permettant à des entreprises privés d’engranger des bénéfices ; à contrario, si elle paye des chercheurs « indépendants » pour faire de la recherche sur les risques à sa place, l’indépendance de ces chercheurs est mise en cause.
C’est ainsi que BASF justifie le montage de ce partenariat pensé selon elle pour sortir de cette impasse. Elle déplore les soupçons qui pèsent sur l’honnêteté de sa démarche et souhaiterait que l’on croie en sa bonne foi : « il n’est pas dans l’intérêt de BASF d’investir de façon aussi massive dans la recherche sur les risques, si les différents participants remettent en question la fiabilité des résultats ».
Et en France ?
En France, des partenariats public / privé existent, notamment :
- le programme Genesis, sur les nanomatériaux intégrant des nanotubes de carbone et des copolymères à architecture contrôlée, dont l’ANSES a en charge le suivi des données fournies par Arkema concernant toxicologie, de métrologie et de cycle de vie des produits.
- NAUTILE (NAnotUbes et écoToxIcoLogiE), premier laboratoire de recherche pour l’étude de l’écotoxicité des nanotubes de carbone en milieu aquatique, impliquant lui aussi Arkema.
A la date de publication de cet article, l’avancée et l’appréciation de l’indépendance des expertises réalisées dans le cadre de ces partenariats public / privé restent à éclairer. Mais un certain nombre d’interrogations, réactions et suggestions plus générales nous parviennent via notre réseau de veilleurs français.
En France, l’ANSES produit des expertises dont l’indépendance est garantie notamment par les déclarations d’intérêt des chercheurs et un financement exclusivement public. L’INRS est lui financé par le FNPAT (Fonds National de Prévention des Accidents du Travail et des Maladies Professionnelles, alimenté par une taxe sur les entreprises) avec une gestion paritaire contrôlée par l’assurance maladie et le ministère du travail, donc, a priori aussi indépendante que possible des lobbies industriels.
Mais dans un cas comme dans l’autre, la responsabilisation des entreprises commercialisant des produits contenant des nanomatériaux n’est pas assurée, puisque la taxe qui alimente le FNAPT est payée par l’ensemble des entreprises – qu’elles aient ou non une activité touchant aux nanomatériaux.
Pour un certain nombre d’acteurs, une taxe payée spécifiquement par les entreprises commercialisant des produits contenant des nanomatériaux et finançant notamment la réalisation d’études de risques par des chercheurs indépendants serait une solution plus propice à répondre aux besoins de vigilance, de transparence, de confiance et d’indépendance de l’expertise. En avril dernier, douze ONG européennes – dont le Réseau Environnement Santé pour la France – ont demandé la mise en place d’un mécanisme d’auto-financement de la gestion des nanomatériaux, conforme au principe pollueur-payeur, pour soulager les contribuables et inciter les industriels à concevoir et adopter des solutions de substitution ».
Bien que contraire à la règle de la non affectation voulue par notre principe d’universalité budgétaire, un tel mécanisme a été mis en place pour les produits phytosanitaires à travers la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Lors de la campagne présidentielle, le candidat François Hollande avait déclaré que « l’alerte citoyenne (associations, ONG…) doit déclencher des études approfondies opérées par des expertises contradictoires et non suspectes d’instrumentalisation par des groupes de pression ». La piste d’une TGA-nano (taxe générale sur les activités nano) sera-t-elle examinée par le gouvernement du nouveau président ?
Publié par P.T
Sources : l’équipe Avicenn
Pour aller plus loin : Formation sur les nanomatériaux : évaluer et prévenir les risques HSE