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Alain Broustail : « Faire de la blockchain un maillon fort du processus de traçabilité »

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

Loin de n’être qu’une contrainte réglementaire, la traçabilité est un outil essentiel permettant de répondre aux exigences de qualité et d’optimisation de la supply chain par l’amélioration des flux. Dans un contexte contraint, elle participe également à l’identification d’économies tout au long de la chaîne de fabrication ou de services. Elle devient, ainsi, un vecteur de croissance du chiffre d’affaires, à condition de pouvoir s’assurer de la fiabilité des données. En la matière, et parce qu’elle est infalsifiable, la blockchain constitue un maillon fort du processus de sécurisation des informations.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel ?

Diplômé d’une école de commerce en 2002, j’ai commencé ma carrière dans le monde de l’édition de logiciel pour les services financiers. Après avoir pratiqué la vente et l’avant-vente de solutions bancaires complexes, j’ai rejoint Coexya (anciennement Sword Group en France) en 2011 comme directeur d’une entité-conseil spécialisée sur les sujets de la dématérialisation, notamment en banque, de la traçabilité de la data et du document. En 2018 j’ai décidé de me dédier à l’accompagnement des projets sur la technologie blockchain. Depuis, à travers les sociétés Coexya – qui a rejoint le groupe Talan – et Blockchain EZ, j’ai eu le plaisir d’accompagner plus de 60 projets sur des métiers très différents. Actuellement, nous travaillons sur de beaux projets dans l’industrie textile, sur le marché de l’énergie, mais aussi beaucoup pour le secteur bancaire, ainsi que sur les thématiques de preuves numériques et de signature électronique.

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à la question de la traçabilité et aux solutions technologiques comme la blockchain ?

Cela a commencé de manière opportuniste : quand, en 2017, je vois le cours du Bitcoin s’élever au ciel, je décide comme beaucoup de m’y intéresser pour y investir quelques économies. Mais étant aussi très curieux, je prends tout de même le temps avant d’étudier son fonctionnement technique. Et là, je découvre une technologie, la blockchain, au fonctionnement terriblement clair, efficace, élégant. J’apprécie particulièrement sa capacité à stocker de manière fiable dans la durée des données horodatées. Très rapidement l’idée de la mettre en œuvre pour répondre à certains besoins que nous avions chez des clients, notamment en matière de certification de documents, me vient à l’esprit. Quelques semaines après, début 2018, se présente l’occasion de l’utiliser, une première fois sur un sujet lié aux douanes, une autre dans le secteur du luxe. C’était le début d’une belle histoire.

Pouvez-vous nous donner un aperçu des principales évolutions réglementaires qui renforcent aujourd’hui l’exigence de traçabilité dans les entreprises ?

Ces réglementations sont très différentes selon les secteurs d’activité. Certaines réglementations, comme le RGPD ou encore eIDAS sur l’identité numérique ou la signature électronique, sont transverses à tous.

Dans le monde bancaire, il existe de nombreux textes encadrant la relation client, l’analyse du risque ou encore la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tous exigent une traçabilité des actions menées en interne extrêmement forte, afin de permettre aux autorités compétentes de vérifier leur bonne adéquation aux exigences fixées.

Dans notre article consacré à la blockchain au service de la traçabilité, publié en janvier 2025 sur le site Techniques de l’Ingénieur, nous faisons plutôt un focus sur l’industrie qui, aujourd’hui, se voit énormément challengée par de nouvelles contraintes environnementales. En Europe notamment, la réglementation CSRD, celle sur la déforestation, les nouvelles exigences en matière de due diligence¹ des fournisseurs ou encore l’arrivée du Passeport Numérique des Produits dont la mise en œuvre est prévue pour 2027, provoquent des changements majeurs en matière de politique de traçabilité. Au-delà du déclaratif, les industriels doivent maintenant se mettre en position de pouvoir prouver leurs allégations relatives à l’origine des matières premières, à leur bilan carbone ou au respect du droit social.

Pourquoi la traçabilité des données est-elle devenue un enjeu majeur pour les entreprises aujourd’hui ?

Il serait regrettable de considérer que la traçabilité n’est qu’une contrainte à respecter, un mal nécessaire pour répondre à ces nouvelles exigences réglementaires.

Une bonne gestion de la traçabilité est avant tout un prérequis pour maîtriser ses méthodes de fabrication. Elle permet à la fois d’améliorer les aspects qualité de produit et d’optimiser la supply chain ou la gestion de ses fournisseurs. En cette époque de stress fort sur la marge des industriels européens, une meilleure traçabilité peut permettre d’identifier des économies de coûts.

Cette meilleure maîtrise en interne permet aussi de mieux communiquer à l’externe, en répondant plus vite aux équipes achats de ses clients (lorsque l’on est sous-traitant), en valorisant la qualité d’un produit devant les clients finaux et en se différenciant ainsi des concurrents, en facilitant le travail des organismes de labélisation, etc. En plus d’optimiser les coûts, la traçabilité est donc un facteur de croissance du chiffre d’affaires.

Quels sont les principaux avantages de la blockchain pour la traçabilité par rapport aux systèmes classiques ? Quels freins limitent encore son adoption et comment peuvent-ils être surmontés ?

À l’exception de quelques cas d’usages très particuliers, comme ceux où la tokenisation d’un produit a du sens, je ne pense pas qu’il faille considérer la blockchain comme une alternative aux systèmes plus classiques. C’est surtout un élément à apporter en complément. Les projets de traçabilité se transforment tous très vite en projets de collecte et de restitution de données. La qualité des procédures de traçabilité devient ainsi dépendante de la qualité des données utilisées, et de la confiance que l’on peut y apporter. C’est ici que la blockchain prend tout son intérêt de par sa nature même : il s’agit d’un registre électronique horodaté, infalsifiable, immuable. On sort ainsi d’un système souvent uniquement déclaratif à une approche probatoire où l’origine des données utilisées est vérifiable. En cuisine, il faut de nombreux ingrédients pour de bons desserts. C’est identique pour les projets de traçabilité qui ont besoin d’une bonne gestion des identifiants, du matériel physique, d’un système d’information efficace, de la gestion du changement, de la formation… Sur cette comparaison un peu osée, disons que la blockchain est un peu la cerise que l’on posera sur le gâteau final (ou la crème Chantilly, ou le nappage chocolat, à chacun ses goûts !). On peut faire sans elle, mais c’est quand même mieux avec. Elle va ajouter cette couche de confiance dans le résultat final qui peut faire toute la différence entre le succès et l’échec, entre un bon produit que malheureusement personne n’utiliserait et une solution qui serait par contre appréciée de tous.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent se lancer dans un projet de traçabilité reposant sur la blockchain ?

Premier conseil : ne pas définir son projet par rapport à la technologie. La blockchain n’est qu’un élément possible du succès d’un projet de traçabilité, souvent utile mais rarement absolument nécessaire. Il faut donc d’abord définir le projet et ses finalités sans se soucier des contraintes techniques, nombreuses, d’un projet blockchain. Si l’usage d’un registre distribué semble pertinent, je recommande en second lieu de mener une étude de marché des projets similaires, passés ou en cours. Les projets de traçabilité avec blockchain se comptant déjà par dizaines dans presque toutes les industries, les retours d’expérience sur les succès et échecs passés sont très importants. Mon troisième conseil sera d’inviter les entreprises en étude de projet à toujours comparer les solutions qu’elles pourraient construire elles-mêmes avec des solutions clés en main proposées par des éditeurs SAAS du marché.

Ma dernière recommandation ira vers une certaine prudence par rapport à l’innovation technologique : toutes les semaines sortent de nouvelles blockchains qui brillent plus que les précédentes, mais dont la pérennité est tout sauf garantie. De même, les start-ups qui font les plus grosses levées de fond ne sont pas forcément les plus prêtes pour votre projet.

Quelles compétences/qualités sont, selon vous, indispensables en général et plus particulièrement sur vos domaines d’expertise ?

Pour mener ce type de projet, il faut un bon mixte. Des compétences fortes sur le métier adressé, une très grande connaissance de son écosystème, une maîtrise des contraintes réglementaires, une connaissance approfondie des normes de marché, de bonnes compétences dans l’aspect informatique du projet et beaucoup de rigueur, mais aussi de pédagogie, dans la direction du projet et l’accompagnement au changement avec tous les partenaires impliqués. Notez qu’il existe aujourd’hui des spécialistes de la traçabilité qui apportent, en plus de ces qualités, une expérience concrète sur les bonnes pratiques à respecter et les erreurs à éviter. Un sujet de traçabilité sur blockchain nécessitera par ailleurs, forcément à son démarrage, une expertise technologique et juridique encore un peu rare.

Que vous apporte la collaboration avec Techniques de l’Ingénieur, en tant qu’auteur et conseiller scientifique ?

Je suis tout d’abord honoré d’être invité à collaborer avec une maison d’édition si prestigieuse et reconnue dans son domaine. Et très fier de participer à la démocratisation de deux sujets encore trop méconnus mais qui pourtant vont inéluctablement s’installer dans nos quotidiens : la traçabilité des produits et la technologie blockchain. J’espère à travers cet article avoir donné quelques pistes de réflexion aux entreprises embarquées sur des projets de traçabilité. Je suis responsable d’une activité conseil et cette publication est aussi l’occasion d’en faire connaître les compétences. Peut-être que certains lecteurs souhaiteront ainsi nous contacter pour échanger sur leur projet.

Les contributions d’Alain Broustail à Techniques de l’Ingénieur

Consultant en innovation auprès d’entreprises, Alain Broustail est aussi président de Blockchain EZ, Head of Coexya Blockchain & Transparency Activities. Pour Techniques de l’Ingénieur, il a rédigé un article sur la blockchain. 

Webinar le 13 juin

Article
La blockchain au service de la traçabilité – Utile mais sous réserve


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