Interview

AI-Stroke : une IA neurologue numérique au service de la détection des AVC

Posté le 26 novembre 2024
par Arnaud Moign
dans Informatique et Numérique

Seconde cause de mortalité au niveau mondial, les AVC sont aussi dangereux que difficiles à diagnostiquer rapidement, sans la présence d’un neurologue. Si une prise en charge du patient dans les 4 à 6 heures maximum permet de réduire les conséquences de l’AVC, la détection précoce demeure donc un défi, que ce soit pour les pompiers ou les urgentistes. Ce défi, c’est celui que la start-up montpelliéraine AI-STROKE s’est proposée de relever, en développant un outil de prédiagnostic des AVC en temps réel basé sur l’IA et dont les essais cliniques vont bientôt démarrer. Nous sommes allés à la rencontre de Cédric Javault, CEO d’AI-STROKE.
Cédric Javault, CEO d’AI-Stroke (Crédit : AI-Stroke)

AI-Stroke est une medtech montpelliéraine créée en 2022, qui développe un neurologue numérique basé sur l’intelligence artificielle.

Cet outil révolutionnaire est capable de détecter un AVC en temps réel à l’aide d’un smartphone ou d’une tablette.

Cédric Javault est polytechnicien. Avant de devenir ingénieur en Intelligence artificielle, il a été chef d’entreprise pendant 20 ans, dans le secteur du tourisme.

Techniques de l’ingénieur : Pourquoi la détection précoce des AVC pose-t-elle problème ?

Cédric Javault : Un AVC est une urgence médicale absolue. Malheureusement, encore faut-il être en mesure de le diagnostiquer, car il faut savoir que les symptômes varient énormément, selon la zone du cerveau qui est touchée, donc d’un patient à l’autre.

Ces symptômes peuvent être moteurs, de la paralysie faciale, une perturbation du langage ou de nature encore différente, ce qui complique la détection. Selon une étude américaine, les « first responders[1] » passeraient ainsi à côté de 32 % des AVC, ce qui est loin d’être marginal.

Dans le meilleur des cas, si l’AVC n’est pas détecté, le patient est pris en charge dans un hôpital qui n’est pas spécialisé en traitement des AVC et il ne peut disposer des soins adaptés.

Néanmoins, le pompier, ou l’urgentiste qui passe à côté de l’AVC n’est pas mauvais pour autant. C’est juste qu’il n’est pas neurologue !

C’est la raison d’être d’AI-Stroke : proposer un neurologue numérique capable d’assister le pompier ou l’urgentiste dans la détection précoce de l’AVC.

Quel est le principe du neurologue numérique ?

Pour diagnostiquer un AVC, le neurologue de l’hôpital réalise une IRM de contrôle, qui permet de voir ce qu’il se passe à l’intérieur du cerveau, ce qui est bien évidemment impossible en diagnostic préhospitalier.

En préhospitalier, on se base sur un outil de pré-évaluation clinique appelé NIHSS[2]. À partir de tests simples (lever les bras, répéter quelques mots, etc.), l’outil permet ainsi d’établir une échelle de gravité de l’AVC.

Notre neurologue numérique est une application mobile pour tablette ou smartphone basée sur ce protocole NIHSS. L’application filme ainsi le patient et le guide pour qu’il réalise les exercices qui sont pertinents. Le neurologue numérique analyse ensuite les images et le son pour indiquer si les réactions du patient correspondent ou non à un AVC.

Sur quelles données s’appuie AI-Stroke ?

Nous avons travaillé en partenariat avec le CHU de Nîmes et filmé 300 patients en phase aiguë d’AVC. Ces patients ont suivi l’ensemble des exercices prévus par le protocole NIHSS, ce qui n’avait jamais été fait avant avec autant de patients et autant d’exercices.

Grâce à ce partenariat, nous avons développé le plus gros dataset au niveau mondial, constitué de 20 000 vidéos et 6 millions d’images. La performance de l’application repose donc sur une IA très bien entraînée.

Mais travailler avec ces données sensibles n’est pas simple, car elles ne sont pas anonymisables. La première année de développement, le plus gros travail de nos équipes a donc été d’obtenir les autorisations nécessaires à l’exploitation de ces données sensibles.

Les travaux effectués avec le CHU de Nîmes ont donc été autorisés par deux comités d’éthique, ainsi que par la commission plénière de la CNIL. Nous avons dû démontrer notre capacité à sécuriser ces données. Je pense d’ailleurs que c’est la première fois qu’on autorise à filmer et garder des vidéos de patients non anonymisées.

Je précise aussi que ce travail de collecte n’aurait pas été possible sans l’implication de l’équipe médicale[3] pour récolter ces autorisations auprès des patients ou de leur famille, puis les filmer assez vite après l’accident.

Pour que ce type de solution fonctionne, il faut donc à la fois des compétences médicales, juridiques et bien entendu mathématiques.

Cela suppose aussi que les ambulanciers, pompiers ou urgentistes soient équipés d’outils numériques. Est-ce le cas ?

Il y a cinq ans, les pompiers fonctionnaient encore avec des formulaires papier qu’ils remplissaient. Ils dictaient ensuite leur compte-rendu au SAMU qui les ressaisissait. Mais l’ère du papier est heureusement en passe d’être révolue, en Europe comme dans la plupart des pays développés. En France, les pompiers sont en train de s’équiper de tablettes, ce qui permettra au coordinateur du SAMU de voir arriver le compte-rendu au fur et à mesure.

Le déploiement est donc en cours. Comme il nous faudra environ deux ans avant de pouvoir commercialiser l’application, la majorité des SDIS français devrait être équipée lorsqu’elle sortira.

Vous reste-t-il beaucoup de travail à accomplir avant la commercialisation ?

Pour le moment, le niveau d’efficacité de l’outil, concernant la détection des AVC, est au moins équivalent à celui des premiers intervenants (pompiers et ambulanciers). Mais sa performance s’améliore en continu et on se dirige doucement vers un niveau « urgentiste ». Nous disposons néanmoins de bons arguments pour espérer dépasser ce niveau sans trop de difficultés. Il faut savoir que les deux principaux papiers scientifiques qui ont été publiés dans le domaine ont réussi à atteindre l’efficacité d’un neurologue, alors qu’ils s’appuyaient sur des jeux de données sensiblement plus petits que le nôtre.

Nous allons ensuite profiter des sessions de formation annuelles des pompiers pour mettre à l’épreuve notre IA en comparant sa performance à celle des pompiers. Au printemps 2025 nous aurons donc une évaluation de l’outil sur plusieurs milliers de pompiers et secouristes.

L’étape suivante sera celle des essais cliniques, sur des patients pour lesquels l’AVC n’a pas été détecté par le SAMU ou les pompiers, mais pour lesquels l’urgentiste a un doute. Le protocole standard est alors de demander l’avis du neurologue de garde puis de confirmer par IRM. Nous allons « ajouter » AI-Stroke et pouvoir comparer, pour tous les cas où l’urgentiste aura eu un doute, les impressions cliniques de l’urgentiste, du neurologue et de notre IA (sachant que nous aurons l’IRM comme référence). Ce sera pour le 2e semestre 2025.

La mise sur le marché est estimée à fin 2026. En attendant, il nous reste encore des étapes réglementaires à franchir, ainsi qu’une levée de fonds à lancer.


[1] L’équivalent des pompiers et du SAMU

[2] National Institutes of Health Stroke Scale

[3] En particulier l’équipe d’Éric Thouvenot, PUPH, chef de service neurologie au CHU de Nîmes et actionnaire d’AI-STROKE


Pour aller plus loin