À deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher évoque les actions engagées pour relocaliser des activités industrielles et les décarboner. Deux priorités qui devraient être maintenues sur le long terme.
Aux commandes depuis cinq ans, le Gouvernement d’Emmanuel Macron a mis un accent particulier sur l’industrie. La ministre en charge de ce dossier, Agnès Pannier-Runacher, revient sur la stratégie engagée dans une optique de long terme pour réindustrialiser la France tout en décarbonant l’ensemble des activités économiques.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle a été la priorité de votre mandat ministériel ?
Agnès Pannier-Runacher : Depuis cinq ans, nos deux priorités sont la réindustrialisation et la décarbonation des activités pour pallier les aléas climatiques dont les dégâts touchent des vies humaines et coûtent de plus en plus cher. Depuis 2017, nous travaillons ainsi à la décarbonation de tous les secteurs comme le logement, l’agriculture, l’industrie, etc. sous deux aspects : l’offre et la demande.
Du côté de l’offre, il s’agit de trouver une politique industrielle qui rompe avec le passé où l’innovation a été soutenue sans penser à l’industrialisation. Or, un pays sans usines, qui ne compte que sur les « ateliers du monde » pour fabriquer, ça ne marche pas. La France a ainsi perdu 1 million d’emplois nets entre 2000 et 2016, tout en augmentant son empreinte carbone de 17 % à cause de ses importations. Nous avons donc décidé d’accompagner la R&D et l’innovation tout en aidant le développement industriel. Par exemple, pour les véhicules, cela va des nouvelles motorisations hydrogène et électrique aux biocarburants. Du côté de la demande, nous accompagnons les particuliers pour aider à financer des motorisations décarbonées, avec un million de primes à la conversion pour changer de véhicule.
Sur quoi repose la réindustrialisation ? Quelles en sont les limites ?
La réindustrialisation est un pari gagnant, en particulier avec le mix électrique déjà très décarboné de la France. Car les activités émettent moins de gaz à effet de serre chez nous que si elles sont réalisées dans d’autres pays. Une relocalisation n’est pas qu’un déplacement d’activités. Elle se fait souvent à l’occasion du développement d’un nouveau produit, de l’extension d’une ligne de production ou de la réintégration d’un élément de la chaîne de valeur. Via nos appels à projets, nous avons soutenu 782 projets de (re)localisation.
On doit être attentif à deux aspects. Tout d’abord, la réindustrialisation induit une dégradation de notre balance commerciale à court terme, car il faut s’équiper en machines, en équipements achetés dans d’autres pays pour créer les usines. Il faudra renforcer nos filières en la matière, car maîtriser ses machines de production, c’est aussi un enjeu de compétitivité. Ensuite, il est nécessaire de continuer à baisser l’empreinte énergétique de notre industrie, notamment en trouvant des alternatives aux énergies fossiles encore utilisées. Heureusement, ces consommations sont très concentrées, 15 sites regroupant à eux seuls 50 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie. Nous avons ainsi lancé avec les filières industrielles des feuilles de route sectorielles pour identifier les actions possibles et planifier leur décarbonation.
Jusqu’où vont se porter les efforts de décarbonation ?
Avec France 2030, nous avons déjà injecté 1,2 milliard d’euros pour aider des projets. Nous avons atteint une économie de 2,8 MtCO2eq/an fin 2021 et notre objectif est de 3,6 MtCO2eq à mi-2022. Certains projets se réalisent plus rapidement comme les sécheurs dans l’agroalimentaire et vont apporter, dès 2023, un réel bénéfice aux industriels concernés vu l’augmentation des prix du gaz. Avec 5 milliards d’euros supplémentaires apportés dans le cadre de France 2030, je souhaite aller un cran plus loin pour financer la décarbonation profonde de l’industrie. Nous regardons toutes les technologies, y compris le captage/stockage de carbone, car il faut rester ouvert à toutes les solutions possibles pour diminuer notre empreinte carbone.
L’évolution du mix énergétique va-t-elle soutenir vos objectifs ?
La politique énergétique du Gouvernement est en phase avec l’objectif d’une société décarbonée. Comme le Président Emmanuel Macron l’a dit à Belfort, il faut simultanément diminuer la consommation d’énergie de 40 % comme le prévoit la Loi de 2015, augmenter massivement la production d’énergies renouvelables et conforter la production nucléaire d’électricité. Sur les énergies renouvelables, l’objectif est notamment de décupler la puissance installée en solaire photovoltaïque et de doubler celle en éolien terrestre. Pour l’éolien en mer, notre objectif est de 40 GW installés en 2050, en incluant les projets déjà en cours. Sur le nucléaire, la sûreté doit prévaloir dans le prolongement des centrales existantes qui sera fait au cas par cas. Nous devons aussi prévoir la construction de nouveaux réacteurs pour les remplacer. C’est pourquoi nous avons demandé à EDF d’étudier un projet de 6 nouveaux EPR, avec une option pour 8 réacteurs supplémentaires. Il faut aussi innover dans les SMR (petits réacteurs modulaires) pour rester une des nations les plus avancées dans le nucléaire. Ce sont des actions de long terme puisque les premiers nouveaux EPR ne seraient pas en fonctionnement avant 2035. À cet effet, l’État actionnaire d’EDF doit la soutenir financièrement et travailler en mode projet avec elle. De notre point de vue, la performance opérationnelle d’EDF est prioritaire !
L’actualité en Ukraine se répercute sur nos accès à l’énergie importée de Russie. Que faire à court terme ?
La France est en effet en partie dépendante aux importations d’énergies fossiles de Russie, par exemple à hauteur de 17 % pour nos importations de gaz naturel. Heureusement on a des stocks stratégiques nous permettant de faire face. Pour forcer la Russie à arrêter cette guerre en Ukraine, les sanctions contre les entreprises russes doivent être violentes. Mais il y aura des répercussions sur l’activité économique française : pour l’aider à résister, nous comptons cibler des mesures dédiées à la protection des ménages et des entreprises. J’ai d’ailleurs réuni tous les secteurs les plus concernés le 1er mars dernier et mis en place des points de contact à Bercy pour que les entreprises puissent parer aux premières conséquences qu’elles subissent (le 16 mars 2022, le Gouvernement a lancé un plan de soutien aux ménages et aux entreprises à cause de la hausse des coûts, NDLR).
Propos recueillis par Stéphane Signoret lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’énergie
Exposé remarquable que l’on devrait voir au 20:00 car il explique la trajectoire et présente la cible et la stratégie gouvernementale retenues.
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