Depuis une dizaine d’années, la recherche dans le domaine de la réalité augmentée est en plein essor. Cette technologie consiste à superposer des informations virtuelles sur le monde réel, comme l’affichage de notifications sur des lunettes. Pour les chercheurs, l’une des difficultés est d’afficher de petites images sur des dispositifs placés proches des yeux. Le CEA- Leti développe un nouveau concept basé sur la technologie holographique et qui révolutionne la façon de projeter des images sur des composants miniaturisés.
Actuellement, la plupart des procédés sur le marché sont conçus à partir de micros-écran, de la taille d’un timbre-poste. Ils fonctionnent sur le même principe que les écrans d’ordinateur, c’est-à-dire que chaque pixel présent à la surface du micro-écran représente un point de l’image. Un dispositif optique est ensuite placé devant l’écran et agit comme une sorte de loupe en dirigeant chaque pixel dans une direction angulaire différente afin que l’œil puisse percevoir l’image. Résultat : elle apparaît éloignée et d’une grande dimension bien que l’écran soit très proche des yeux. « Nous avons décidé de rompre avec ce concept en n’utilisant aucun système optique additionnel car il présente l’inconvénient d’être volumineux et complexe à concevoir, explique Christophe Martinez, responsable du programme Projection rétinienne au CEA-Leti. Nous utilisons la technologie holographique car elle permet de fabriquer des dispositifs compacts et d’enregistrer beaucoup d’informations sur de petites surfaces. Chaque pixel holographique va représenter non pas un point de l’image mais un angle de visualisation de cette image pour ensuite permettre de la reconstituer au fond de l’œil. »
Dupliquer les pixels holographiques pour améliorer la résolution
Afin que l’image possède une bonne résolution, les chercheurs dupliquent le même pixel holographique, également appelé hoel, une centaine de fois sur le support de visualisation. Pour comprendre l’intérêt de cette duplication, il est possible de faire la comparaison avec un procédé utilisé dans le domaine de l’astronomie, même si l’échelle est totalement différente. Pour améliorer la résolution des images de l’espace, les scientifiques doivent construire des télescopes de plus en plus grands mais se heurtent à des difficultés technologiques pour fabriquer des télescopes géants. Ils utilisent alors plusieurs télescopes de petite taille qu’ils séparent de quelques kilomètres, puis reconstruisent une seule image ayant une grande résolution grâce à l’addition des données enregistrées sur l’ensemble des télescopes. « Ici, le même principe opère, c’est-à-dire que l’image au fond de l’œil est le fruit d’une reconstruction d’une multitude de pixels holographiques représentant le même angle de visualisation », précise le chercheur.
Deux matériaux supports sont employés pour imprimer ces hoels. Tout d’abord, des halogénures d’argent, un composé photosensible similaire à celui utilisé dans la photographie argentique. Grâce à un procédé d’émulsion de cristaux d’argent, le matériau holographique est déposé sur une lame de verre puis enregistré à l’aide d’un laser. Le support obtenu présente une grande sensibilité mais est encore peu utilisé commercialement. Les chercheurs le répliquent alors sur un second matériau : un photopolymère. Celui-ci ressemble à une résine liquide que l’on applique sur une surface vitrée et qui, en séchant, forme une pellicule plastique photosensible. L’étape suivante consiste à soumettre cette pellicule à une lumière laser afin d’enregistrer l’hologramme, réplique du précédent. « Ce processus en deux étapes ressemble à ce qui est pratiqué dans la fabrication des CD et DVD, analyse Christophe Martinez. Il y a d’abord un processus de mastering avec la fabrication d’un moule maître, ici en halogénures d’argent. Puis une fabrication en grand nombre en photopolymère. »
Des images en mouvement grâce à un éclairage dynamique
Pour visualiser les images, il est ensuite nécessaire d’éclairer le matériau support. Intervient alors une autre technologie développée au CEA-Leti, celle de la photonique intégrée qui consiste à conduire de la lumière à la surface d’un composant. Pour l’instant, les chercheurs envisagent d’éclairer le photopolymère de manière uniforme à l’aide de microsources laser, permettant ainsi la formation d’une image fixe au fond de l’œil. « Nous travaillons sur des briques technologiques pour apporter un éclairage dynamique afin d’allumer et éteindre les pixels holographiques et dans le but de modifier en temps réel les images projetées et qu’elles apparaissent en mouvement, révèle le chercheur. L’une des difficultés se situe au niveau de la micro-structuration de la surface du composant pour que la lumière puisse entrer et sortir de manière guidée et distribuée sur le photopolymère. »
Plusieurs années seront nécessaires avant de finaliser cette technologie, en rupture totale avec les techniques actuellement en service. « Nos travaux sont aussi à considérer comme de la recherche fondamentale dans le sens où nous nous questionnons sur la manière dont se forment les images au fond de l’œil et sur de nouveaux moyens de former ces images avec les technologies de pointe développées au CEA-Leti ». À terme, les applications potentielles concernent le domaine de la réalité augmentée, dont l’objectif ultime est de concevoir des lunettes qui se substituent aux smartphones, grâce à l’affichage de données digitales apparaissant dans le champ de vision. L’une des difficultés est alors de concevoir des dispositifs d’affichage peu volumineux qui s’intègrent directement aux lunettes afin que celles-ci restent ergonomiques et puissent se porter au quotidien. « Notre procédé, du fait de sa compacité liée à l’absence de dispositif optique additionnel, devrait permettre de résoudre cette difficulté, ajoute Christophe Martinez. D’ici un à deux ans, nous pensons réaliser la preuve de concept de notre nouvelle technologie. »
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