La formation de glace sur les aéronefs est un phénomène dangereux qui est susceptible de perturber le contrôle par les pilotes. Bien qu’ils soient fiables, les systèmes de dégivrage classiques ont l’inconvénient d’être très gourmands en énergie : ils peuvent consommer ponctuellement jusqu’à 40 % de la puissance totale produite par un avion !
Le projet PIPS (Passive Ice Protection System), démarré en 2016 et conduit par Euro Heat Pipes (EHP), a été financé à 65% par l’UE, dans le cadre de CleanSky 2. Il avait pour but de développer un nouveau système de dégivrage passif qui exploite la chaleur du moteur. EHP est le spécialiste européen de la régulation thermique des engins spatiaux. En plus des caloducs, EHP produit également des boucles capillaires diphasiques ainsi que des bras articulés pour les satellites.
Le projet PIPS a atteint le niveau 5 en termes de maturité technologique : si le concept a été démontré, la technologie doit donc être encore affinée.
Techniques de l’Ingénieur : EHP est spécialisé dans la régulation thermique des engins spatiaux. Est-ce différent de ce qui a été mené dans le projet PIPS ?
Romain Rioboo : Pour schématiser, les systèmes que nous concevons ont pour but d’amener de la chaleur d’un point A à un point B, de la manière la plus efficace possible. Or, l’un des moyens les plus efficaces est d’exploiter les changements de phase liquide-gaz et donc d’utiliser des technologies que nous maîtrisons bien.
Néanmoins, lorsque nous travaillons sur la régulation thermique des satellites, la plupart du temps, nous cherchons à refroidir et non à réchauffer. Dans le cadre du projet PIPS, c’était l’inverse, car l’objectif était de concevoir un système passif capable de transporter la chaleur résiduelle des moteurs vers leur entrée d’air, afin d’éviter la formation de givre sur les bords.
Ce projet a été clôturé en décembre 2020. Avez-vous obtenu des résultats concluants ?
Nous avons obtenu de bons résultats : nous avons conçu un système entièrement nouveau, capable de transporter 10 kW sur une entrée d’air de 62 cm de large pour une trentaine de centimètres de hauteur et une surface totale de l’ordre de 0,9 m². Néanmoins, nous considérons que c’est un succès partiel, car les essais en soufflerie réalisés dans le cadre d’un autre projet parallèle ont démontré que le dégivrage n’était pas totalement uniforme, ce qui prouve que la chaleur n’est pas encore bien répartie sur la surface de l’entrée d’air et que la conception du condenseur doit être améliorée.
Comment fonctionne ce système ?
Notre système fonctionne en utilisant le principe de boucle de pompage capillaire, qui utilise un fluide – du méthanol – circulant en circuit fermé à l’intérieur de capillaires. Ce fluide est ainsi en permanence au voisinage du point de saturation. Si le principe est relativement simple, la difficulté ici était de concevoir une pompe capillaire capable de fonctionner lors des phases d’accélération de l’avion et de résister à 2G en permanence. Pour compenser les pertes de charge, il a donc fallu produire des poreux en inox constitués de capillaires extrêmement fins et concevoir une nouvelle architecture. Cette architecture particulière a nécessité d’être stabilisée et ajustée, ce qui a conduit à un dépôt de demande de brevet.
Le projet PIPS a atteint le TRL 5 (Technology readiness level). Que manque-t-il pour atteindre le niveau 6 ?
Le TRL niveau 5 correspond à la mise en place de prototypes à échelle réelle respectant les formes, mais en environnement représentatif et contrôlé. Pour passer au TRL 6, il faudrait tester le système sur un véritable avion, ce qui nécessite des financements importants. C’est un peu la limite des projets de type CleanSky : s’il y a des moyens de financement permettant de faire avancer les projets d’un TRL bas jusqu’au niveau 4 ou 5, il est toujours très difficile de trouver des financements permettant d’aller vers une phase d’industrialisation.
Ancienne PME, EHP est désormais une filiale d’Airbus. Cela a-t-il eu un impact sur le projet PIPS ?
Depuis 2017, Euro Heat Pipes est une filiale non consolidée d’Airbus. Néanmoins, ce rachat n’a pas eu d’impact sur le projet PIPS, car il a été lancé en 2016 et nous étions donc éligibles à ce type de projet financé, que nous avons d’ailleurs conduit en grande partie seuls, un laboratoire de l’ENSMA ayant réalisé des modélisations du condenseur.
Aujourd’hui, en tant que filiale d’un grand groupe, nous ne sommes malheureusement plus éligibles à ce type de projet, mais nous serions ravis que le développement se poursuive pour aboutir un jour à une solution de dégivrage efficace et bon marché pour les avions.
Le fonctionnement détaillé de ce système de dégivrage passif est décrit dans cette publication, disponible en open accès.
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