Le réchauffement climatique n’épargne pas les vignobles français. Les températures plus chaudes, l’air plus sec ainsi que les épisodes de canicules perturbent déjà le fonctionnement des vignes et affectent la composition des raisins. Dans trente ans, les vins risquent d’être encore plus concentrés, plus riches en alcool et moins acides qu’aujourd’hui. Depuis 2012, à travers le projet Laccave, l’INRAE étudie les impacts à long terme du changement climatique sur le vignoble. Nathalie Ollat, ingénieure de recherche à l’INRAE, nous explique comment aider les acteurs de la filière viti-vinicole à se préparer au climat de demain et nous donne des pistes opérationnelles d’adaptation.
Techniques de l’Ingénieur : Quels sont les effets déjà observés du changement climatique sur les vignes ?
Nathalie Ollat, ingénieure de recherche à l’INRAE : Depuis 1989, nous observons une plus grande précocité de tous les stades de développement de la vigne, avec pour conséquence principale des dates de vendanges avancées dans toutes les régions. En Alsace, le phénomène est le plus visible, avec une récolte autour du 21 septembre contre le 15 octobre trente ans plus tôt. Il devient parfois nécessaire de vendanger la nuit lorsque les températures sont trop élevées en journée car cela peut entraîner des problèmes de vinification. Avec une augmentation de la température de l’air de 1,4 °C depuis 1900, la composition des vins a déjà beaucoup évolué. Et depuis 30 ans, nous observons des modifications du rapport sucres/acides qui joue un rôle important pour la structure, l’équilibre et la conservation des vins. A Bordeaux par exemple, la teneur en alcool a déjà augmenté de 0,9 ° par décennie et l’acidité a baissé de 1 g/l.
Quelles sont les conséquences attendues dans le futur ?
Les effets déjà observés vont se poursuivre. En retenant l’hypothèse d’une augmentation des températures entre 3,4 et 5,3 °C en moyenne d’ici 2100, on peut s’attendre à des vendanges plus précoces de 20 à 30 jours. Le raisin va subir une double peine. Non seulement il va mûrir plus vite, mais aussi en pleine période estivale, quand les températures sont les plus élevées. Concernant les rendements, il est plus difficile de se prononcer, mais on peut envisager une baisse dans le sud à cause du stress hydrique et une progression dans le nord. La composition finale des raisins et des vins est difficile à évaluer et dépendra des cépages, des régions et des paramètres du climat. D’ici 2050 et hormis en zones montagneuses, la probabilité est élevée de voir tout le territoire hexagonal en mesure de produire du vin. Dans les régions méridionales, la culture de la vigne pourrait devenir plus difficile à la fin du siècle.
Comment faire face à ces nouvelles conditions de culture ?
Nous accompagnons la filière afin qu’elle puisse réfléchir à une stratégie d’adaptation au plan national. D’après une étude prospective que nous avons conduite, les professionnels souhaitent tout mettre en œuvre pour maintenir les vignobles en place et ne pas avoir à se déplacer vers des zones plus propices. Il sera nécessaire de combiner plusieurs leviers pour s’adapter. Nos recherches devraient permettre de mettre en place des systèmes de conduite plus résilients. Nous travaillons pour fournir, région par région, des indicateurs sur les conditions de culture de la vigne en 2050. Pour réduire les besoins en eau, il faut envisager le réaménagement des parcelles en réduisant la densité de plantation ou en adoptant des modes de conduite mieux adaptés comme le gobelet [taille courte de la vigne, NDLR]. Une meilleure gestion du sol est aussi à considérer en ayant recours au paillage et à des amendements organiques. Il faut garder l’irrigation pour les situations les plus extrêmes. Changer de cépages est une autre solution. Nous étudions le comportement de variétés plus résistantes à la sécheresse, aux maladies et aux températures élevées, avec une maturation plus tardive. A Bordeaux, le cahier des charges des Appellations d’origine contrôlée commence à s’ouvrir à de nouveaux cépages à des fins d’adaptation.
La filière contribue-t-elle aux émissions de gaz à effet de serre ?
Même si elle ne fait pas partie des plus gros émetteurs, c’est principalement l’aval, à travers les emballages et le transport des vins, qui en produit le plus. Des pistes de réduction de l’émission de CO2 apparaissent déjà et par exemple plusieurs grands vignobles commencent à réduire l’épaisseur du verre des bouteilles. En terme agronomique, l’enherbement des vignes peut contribuer au stockage du carbone dans les sols. En Espagne, une entreprise récupère le CO2 rejeté lors de la vinification. Plus largement, sur le plan environnemental, il est aussi possible d’adopter les pratiques de l’agroécologie afin de réduire les produits phytosanitaires.
Propos recueillis par Nicolas Louis
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