Créée en 2008, Global Bioenergies a débuté ses activités par un long travail de recherche et développement. L’objectif des fondateurs de l’entreprise était en effet de développer un procédé permettant de convertir des ressources d’origine végétale en une brique élémentaire à la base de nombreux produits – l’isobutène – et ce par fermentation. Un défi quand on sait qu’aucune bactérie ne produit naturellement cette substance… L’équipe R&D de Global Bioenergies s’est ainsi attelée à la modification de bactéries, qu’elle est finalement parvenue à doter d’une nouvelle voie métabolique, permettant aux microorganismes de produire, à partir de sucres, la fameuse molécule d’isobutène. Ce verrou technologique ainsi levé, l’entreprise construit en 2017 un démonstrateur, qui a permis de valider la technologie à une échelle supérieure à celle du laboratoire.
La première unité commerciale tout juste lancée par l’entreprise – dont L’Oréal est le premier actionnaire – se destine au marché de la cosmétique, mais Global Bioenergies vise aussi, à l’horizon 2028, le secteur de l’aviation, avec la production d’un carburant dit « durable », moins délétère pour le climat que ses équivalents issus du pétrole. C’est ce que nous explique Marc Delcourt, directeur général de Global Bioenergies.
Techniques de l’Ingénieur : Comment Global Bioenergies a-t-elle vu le jour ? Quelles ont été les principales étapes franchies en matière de R&D ?
Marc Delcourt : L’entreprise a été créée en 2008 par Philippe Marlière et moi-même, deux scientifiques du domaine de la biologie industrielle. L’idée de départ consistait à développer un procédé de conversion des ressources végétales – sucres, céréales, déchets agricoles et forestiers… – en l’une des briques élémentaires de la pétrochimie, l’isobutène. C’est un gaz aujourd’hui dérivé du pétrole, à partir duquel on fait plein de choses : de l’essence, du kérosène, des plastiques, ainsi que des produits dans la chimie fine, notamment la cosmétique.
Nous avons commencé à travailler sur ce procédé en 2009. Nous avons d’abord réalisé une preuve de concept, puis une validation en laboratoire, puis en pilote et enfin en démonstrateur. Aujourd’hui la technologie est mature, nous avons lancé une première unité commerciale située à Pomacle près de Reims, dont le démarrage a eu lieu il y a quelques semaines, et qui permet de produire de l’isobutène, certes à un prix encore élevé… Mais sa production nous permet de servir le marché de la cosmétique, et plus particulièrement le marché du maquillage, qui utilise massivement un composé dérivé de l’isobutène pour ses produits longue tenue.
En parallèle, nous continuons à améliorer le procédé dans notre laboratoire de R&D situé sur le site de Genopole, à Évry.
Comment le procédé de transformation que vous évoquez fonctionne-t-il ?
Il repose sur l’utilisation de bactéries, à qui on a « appris » à produire de l’isobutène, ce qu’elles ne font pas naturellement. Pour cela, il nous a fallu modifier leur « logiciel », leur métabolisme, afin qu’elles convertissent les sucres en isobutène. Cet isobutène peut ensuite à son tour être converti en d’autres composés pour différentes applications. C’est le premier procédé au monde qui permet de transformer des ressources végétales en un gaz grâce à des bactéries ; le procédé est un hybride entre biologie et pétrochimie.
Une fois produit, l’isobutène est comprimé et refroidi pour passer à l’état liquide. Nous le conditionnons dans de grosses bouteilles comparables à des bouteilles de butane, sauf qu’elles font trois cents kilos…
Ensuite, nous utilisons des technologies conventionnelles issues de la pétrochimie pour fabriquer différents composés, et notamment l’isododécane : trois molécules d’isobutène accrochées les unes aux autres. Cette molécule huileuse possède des propriétés de volatilité qui sont parfaites pour la cosmétique. Elle est donc idéale pour les produits de maquillage longue tenue, dont l’isododécane représente 25 à 50 % du volume.
C’est la raison pour laquelle vous avez décidé de vous lancer dans un premier temps sur ce marché en particulier…
Absolument ! C’est un marché de niche parfaitement adapté.
Quand on réalise la montée en échelle d’un procédé, il faut y aller par étape et trouver des marchés correspondant à chacune d’elles. Notre feuille de route est définie en fonction de quatre horizons.
Le premier nous a conduits à lancer notre propre gamme de maquillage longue tenue, Last, à partir des premières tonnes d’isododécane que nous avons produites en démonstrateur. Pour la première fois, nous avons pu combiner longue tenue et naturalité à plus de 90 %.
Le deuxième horizon est celui de l’usine que nous venons de démarrer, et qui nous permettra de produire à l’échelle supérieure : de l’ordre de 15 tonnes d’isododécane par an, que nous vendrons aux acteurs de la cosmétique tels que L’Oréal, notre premier client et actionnaire. Une tonne d’isododécane permet de produire 500 000 unités de maquillage longue tenue.
Pouvez-vous nous décrire le fonctionnement de l’usine que vous venez de mettre en route ?
Cette usine met en œuvre une variante de la technologie, dite « deux étapes », moins gourmande en investissements. La technologie s’appuie en effet sur une première étape réalisée par un sous-traitant, qui consiste à transformer les sucres en une molécule intermédiaire. La substance intermédiaire est ensuite envoyée vers notre unité de Pomacle, où nous la mettons en présence d’une deuxième souche bactérienne. Ces bactéries transforment ainsi la substance en isobutène. Stocké dans des bonbonnes, l’isobutène est ensuite envoyé chez un troisième acteur de la chaîne, qui transforme l’isobutène en isododécane, qui est ensuite purifié et désodorisé.
Au-delà de cette première unité, quels sont vos projets en matière de déploiement industriel ? Quelle diminution de coûts espérez-vous ainsi atteindre ?
L’unité suivante, ce que nous appelons notre horizon 3, est aujourd’hui au cœur de nos préoccupations. Il repose lui aussi sur la variante « deux étapes » du procédé. Il s’agira de réduire les coûts de manière drastique par les économies d’échelles et par l’intégration de toute la chaîne sur un seul site.
Pour donner quelques repères : l’horizon 2 que nous venons de démarrer nous permet d’atteindre un coût de production de l’ordre de 500 € le kilo. Pour un produit de maquillage, cela n’engendre toutefois qu’un surcoût de l’ordre d’un euro par rapport à une substance issue de la pétrochimie.
Pour l’usine de l’horizon 3, prévue pour 2025, l’idée est d’élargir nos marchés à l’ensemble de la cosmétique et du soin. Le repère de coût sera alors d’environ 50 € le kilo, soit dix fois moins.
Enfin, l’horizon 4, vers 2028, concernera les carburants. Le repère prix sera encore divisé par 10 grâce aux économies d’échelles – nous visons une capacité de production de 30 000 tonnes par an – et au recours à la voie directe de la technologie. Il nous reste encore des efforts de R&D à mener pour atteindre cet horizon.
Nous avons par ailleurs déjà réalisé une joint-venture, IBN-One, avec le sucrier Cristal Union, dans l’objectif de construire cette future unité à proximité d’une sucrerie, qui alimentera ainsi notre usine en mélasse de betterave.
Dans cette perspective de production de carburant, quels seraient les avantages par rapport, par exemple, au bioéthanol qui existe déjà sur le marché ?
Le bioéthanol se destine uniquement aux véhicules à essence. Or, on constate que ce marché se dirige de plus en plus vers l’électrique. Nous avons donc choisi de nous focaliser sur les carburants aériens : les SAF, pour sustainable aviation fuel, ou en français « carburants d’aviation durables ». Notre objectif est donc de créer en France une unité capable de produire ce type de carburant, et ce à l’horizon 2028, afin de répondre aux besoins de ce marché naissant.
En matière d’émissions de CO₂, cela permettra une diminution par trois de l’empreinte carbone par rapport aux filières pétrolières. En plus de ses rejets de CO₂, l’aérien participe en effet au réchauffement via les traînées des avions. Or, les biocarburants tels que celui que nous fabriquerons produiraient moins de traînées de sillage que les carburants fossiles. Ils devraient donc permettre de réduire de manière plus importante encore le réchauffement climatique.
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