Créé il y a 24 ans, le Master Technologie et Handicap de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis mêle nouvelles technologies et santé pour permettre aux étudiants de mettre en place des solutions facilitant l’intégration des personnes en situation de handicap.
Enseignant-chercheur dans ce Master depuis 2007, Anis Rojbi s’est d’abord spécialisé en microélectronique avant de se demander ce qu’il pouvait “apporter” aux autres par ses connaissances. Ses travaux durant sa thèse l’ont mené vers le traitement d’images et la reconnaissance de formes, des connaissances très compatibles au développement d’applications à destination des personnes non-voyantes. Il a ainsi orienté ses travaux de recherches pour aider les personnes en situation de handicap. Devenu enseignant-chercheur, il a finalement été nommé directeur de la filière Technologie et Handicap de Paris 8 en 2019.
Techniques de l’ingénieur : Quelles sont les particularités du Master Technologie et Handicap proposé par Paris 8 ?
Anis Rojbi : S’il existe beaucoup de formations liées au handicap ou à l’inclusion en France, notre Master est le seul à proposer une approche qui mêle nouvelles technologies et handicap. Notre formation est centrée sur le besoin utilisateur. Nous sommes donc une équipe pédagogique composée d’informaticiens, d’un ergonome, mais aussi de chargés de cours issus du milieu du handicap, d’experts en accessibilité numérique ou dans la compensation du handicap. Nous nous entourons aussi de beaucoup d’associations comme l’IFRATH, l’Institut national des jeunes sourds, APF France Handicap, Autisme France… Cela nous permet de réaliser des projets et de développer des outils réellement utiles aux utilisateurs. En parallèle, nous modifions notre Master tous les 2-3 ans pour l’adapter aux nouvelles technologies.
Quels profils d’étudiants peuvent accéder à ce Master ?
La spécificité de notre Master est d’accueillir des étudiants aux profils très variés. Certains étudiants viennent du secteur de la santé : psychologues, ergothérapeutes, kinés… tandis que d’autres viennent de licences d’informatique, d’électronique, de robotique. Tous vont suivre les mêmes cours donc cela demande un engagement très fort de nos professeurs pour adapter leurs cours à tous. Mais cette diversité est aussi une grande richesse.
En quoi consiste la formation ?
De part leurs profils variés, certains de nos étudiants ne maîtrisent pas forcément l’électronique ou l’informatique or ce sont des matières importantes pour pouvoir développer des applis par exemple. Nous donnons donc des cours d’informatique consacrés aux apprentissages de base puis aux notions d’interfaces tangibles et nomades : IHM, initiation aux applications mobiles, électronique connectée… Pour ceux qui ont déjà ce bagage technique, l’idée est d’apprendre comment développer quelque chose d’utile, comment développer des interfaces accessibles à tous les handicaps. Des cours sur les handicaps et sur les moyens de compensations sont aussi dispensés, afin de mieux comprendre quelle compensation est nécessaire pour quel handicap, quelles sont les contraintes etc.
En parallèle, nos étudiants travaillent sur différents projets concrets. En 2023, des étudiants ont par exemple créé une application qui permet de trouver les lieux de culture qui sont accessibles en France et ont ainsi gagné le premier prix du concours OpenSource Experience. D’autres étudiants ont développé un jeu vidéo auditif conçu pour les personnes malvoyantes. Tous les ans, nos étudiants travaillent aussi avec des associations afin de rendre leur site web accessible. Ces collaborations nous permettent également de renforcer notre réseau avec les associations.
Quels sont les débouchés après cette formation ?
Beaucoup de débouchés existent. Les étudiants qui veulent revenir dans le milieu de la santé peuvent exercer leur métier initial mais en tant que spécialistes sur les handicaps et les traitements adaptés. Pour les profils qui souhaitent rester dans l’informatique, ils vont pouvoir devenir experts en accessibilité numérique, en développement de logiciels adaptés, en accessibilité des contenus électroniques. Ils pourront aussi travailler dans les ressources humaines, ou comme chargés de mission dans les collectivités locales ou même créer leur propre entreprise.
Comment la demande de ces métiers a évolué depuis la création du Master ?
La demande a grandi car la loi a changé. Aujourd’hui, il y a l’obligation de rendre les sites web accessibles ; la politique sur le handicap a évolué et est devenue plus sérieuse. Ainsi, la demande est forte pour ces métiers. Nous le constatons avec notre taux d’insertion qui était de 100% à 30 mois en 2021.
Que pensez-vous de l’accessibilité numérique en France ?
Aujourd’hui des lois permettent d’encadrer l’accessibilité, mais elles ne sont pas suffisantes. Il y a deux étapes dans l’accessibilité : l’accessibilité normative et l’accessibilité effective. Certaines entreprises vont respecter les normes d’accessibilité légales mais malheureusement, quand les personnes en situation de handicap se connectent, elles rencontrent des difficultés. Pour qu’un site soit réellement accessible, il faut un test utilisateur. Passer par des associations permet de faire tester son site à des personnes en situation de handicap. Ainsi, les développeurs peuvent réaliser des adaptations pour que l’interface devienne pleinement accessible aux personnes sourdes, aveugles ou en situation de handicap moteur. Dans notre formation, nous enseignons bien que tout développement doit être orienté vers l’utilisateur, et qu’il ne doit pas apparaître à la fin. Les personnes en situation de handicap ne devraient pas avoir de problèmes pour consulter des sites web. L’information doit être égale à tous.
Comment faire pour que les sites web soient pleinement accessibles à tous ?
A chaque fois qu’on propose un contenu, il faut penser à une alternative. Par exemple, si on crée un document avec une image, il faut faire en sorte d’avoir une alternative texte pour décrire l’image. Il s’agit ainsi de toujours prendre en compte les différents types de handicap. La question peut se poser en cas de personnes polyhandicapées mais il existe aujourd’hui de nombreux outils d’assistance qui permettent de résoudre les problèmes, même pour les handicaps sévères.
Quelle est la plus value pour notre société à avoir de jeunes professionnels formés à l’inclusivité ?
Proposer des outils inclusifs est très important. Il faut garder en tête que le handicap touche tout le monde. Rien qu’avec le vieillissement de la population, les personnes entendent moins bien, voient moins bien donc il est capital de développer des outils numériques accessibles à tous. Par ailleurs, la plupart du temps, créer des outils inclusifs ne demande pas beaucoup plus d’investissement, il faut juste savoir comment le faire. C’est là que nos étudiants vont être utiles. Il y a beaucoup de gâchis à développer des outils qui ne vont servir qu’à quelques personnes alors que si on les ouvre pleinement à tous, c’est un vrai avantage économique.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
Photo de Une : Photo des élèves du Master pour 2024-2025 / Crédit photo : Arnaud & Corinne, Studio Arnography
Cet article se trouve dans le dossier :
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