Nicolas Ledévédec, sociologue (Université de Montréal et HEC Montréal) travaille depuis plusieurs années sur les questions que posent le concept actuel d’homme augmenté (Human Enhancement). Il est aussi une des rares voix qui s’élèvent pour replacer le débat dans une approche historique, sociale et politique. Humaine, quoi. Dépassant le simple et simpliste clivage « Pour ou Contre le transhumanisme ? ». A travers son ouvrage, La Société de l’amélioration. La perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme (Ed. Liber – 2015) ou ses articles parus dans la revue SociologieS, il dénonce le renversement de paradigme de nos sociétés qui sont passées d’un idéal humaniste d’amélioration de l’homme dans et par la société à un idéal d’adaptation de l’homme à des contraintes normatives excluant généralement « la vie » et la collectivité.
Des extrémistes aux gestionnaires
Nicolas Ledévedec distingue trois groupes aux positions différentes face à la question de l’amélioration de l’Homme. Les « Pro » transhumanisme, comme ceux qui animent le mouvement officiel Humanity+, qui nient tout danger fondamental à l’augmentation technique de l’humain et y voient la suite logique de l’évolution de l’Homme. Les « contre », qu’il nomme « bioconservateurs », qui se construisent en opposition, refusant en bloc, les avancées techniques, quitte à nier celles déjà développées et utilisées. Dans ces deux groupes, l’approche est centrée sur la liberté individuelle, sortie de son contexte social. Le troisième groupe, les « bioéthiciens », qui veulent se placer dans une posture « responsable et pragmatique ». Ils avançent l’idée que l’amélioration de l’humain repose sur des avancées technologiques, qui ne sont que des outils dont il faut gérer les risques et les bénéfices possibles. Cette gestion doit, selon eux, se faire sur la base de concepts de liberté et d’autonomie, de santé et de sécurité et de justice et d’équité. Bien que leur position semble la plus raisonnable, souligne le sociologue, elle n’interroge en aucun cas le contexte culturel et social dans lequel naissent les techniques et les objets d’amélioration.
Un humain instrumentalisé, normé, compétitif
En partant de l’exemple des médicaments psychotropes, Nicolas Ledévédec, démontre comment l’amélioration des capacités cognitives par la prise de médicaments tels que le Ritalin n’est pas présenté dans notre société comme un « mieux que bien » mais en fait comme une béquille nécessaire « pour pallier notre condition fondamentalement déficiente ». Ces médicaments ne nous libéreraient pas de l’effort ou du travail, écrit-il, mais nous permettraient au contraire de nous y conformer. L’humain augmenté ne serait alors qu’un « humain biomédicalisé, adaptable aux exigences d’une société axée sur la performance et la concurrence ».
Un idéal opposé à celui des Lumières
Le sociologue rappelle que « l’humanisme, tel qu’il est proposé depuis le siècle des Lumières, se fonde sur l’émancipation de l’humain par l’amélioration des ses conditions de vie sociale et politique. » Et ces principes se retrouvent dans la plupart des textes fondateurs de nos sociétés. Prenons par exemple, le code du travail. L’article L4121-2 énonce les principes à la base de la santé-sécurité au travail (qui s’imposent à tous les employeurs en Europe) : adapter le travail à l’homme, donner la priorité aux mesures de protection collective… Le transhumanisme lui prône l’adaptation de l’homme et la gestion de la vie par l’individualisation. Mais à quoi ? Aux normes occidentales de l’homme idéal : toujours plus fort, plus beau, plus performant, efficace, vivant plus longtemps, sans faiblesse… Adieu donc, hasard, imperfection, sensibilités. Une déshumanisation liée à la technologie qui est aussi dénoncée par d’autres – comme Jaron Lanier et son manifeste pour remettre l’homme au centre de la technologie. Alors, quand on accepte « l’homme augmenté », la question à poser, c’est « l’homme augmenté » de quelle société ?
Par Sophie Hoguin
Cet article se trouve dans le dossier :
Transhumanisme : de l'homme réparé à l'homme augmenté
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- Homme augmenté : où en sont les recherches ?
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