ACC (Automotive Cells Company), co-entreprise créée par Stellantis et Saft en 2020, a pour objet la fabrication de cellules et de modules de batteries pour véhicules électriques. La mise en service d’une première gigafactory dans les Hauts-de-France, au mois de mai dernier, illustre l’ambition de l’entreprise, qui prévoit d’en construire deux autres en Allemagne et en Italie. Le tout afin d’être compétitif, sur un marché à l’heure actuelle écrasé par les acteurs asiatiques.
Matthieu Hubert, secrétaire général d’ACC, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur la stratégie d’ACC pour être compétitif sur le marché des batteries pour véhicules électriques, et l’importance pour l’Europe de se doter d’une filière industrielle compétitive dans ce domaine, sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
Techniques de l’Ingénieur : Comment est né Automotive Cells Company (ACC) ?
Matthieu Hubert : ACC est une entreprise relativement jeune, lancée en août 2020 par ses deux actionnaires historiques, Saft et PSA à l’époque (devenue Stellantis depuis).
Saft, aujourd’hui filiale de Total Energies, est fabricant de batteries depuis plus de 100 ans et développe de nombreuses applications de pointe sur les batteries lithium-ion, dont il est le leader mondial. Cependant, Saft n’avait pas encore investi le champ des batteries pour l’automobile avant la naissance d’ACC.
L’autre actionnaire, Stellantis, a un profil très complémentaire à Saft, puisqu’il s’agit d’un constructeur automobile de grandes séries, prêt à prendre le virage de l’électrification, mais qui n’avait jusqu’en 2020 pas d’accès direct aux technologies mises en oeuvre pour les batteries des véhicules électriques.
Il s’agit donc là d’un attelage très cohérent, de deux géants industriels dont les besoins et les savoir-faire se complètent.
Depuis, un troisième actionnaire, Mercedes Benz, a rejoint cet attelage. L’Union Européenne a appuyé ACC à travers le PIIEC batteries, qui permet aux États membres d’investir massivement pour favoriser le développement de futurs champions industriels des batteries, afin de créer une filière industrielle complète dans ce domaine.
Quel écosystème industriel a été développé depuis la création d’ACC ?
Nous avons inauguré un centre de R et D à Bruges près de Bordeaux en 2021, qui est pleinement opérationnel aujourd’hui et regroupe 800 employés. C’est un outil essentiel pour ACC en termes d’innovation.
Aussi, nous avons, l’année dernière, inauguré notre usine pilote à Nersac, où évoluent 250 employés, et qui permet d’opérer la convergence du produit avec le processus, afin de préparer l’industrialisation en grande série de notre fabrication, dans nos Gigafactories. La première d’entre-elles se situe à Billy-Berclau dans les Hauts-de-France, dont le premier bloc a été inauguré au mois de mai dernier, et qui devrait permettre de livrer notre client, Stellantis, dans les toutes prochaines semaines.
In fine, la gigafactory française comptera trois blocs, tout comme les deux autres gigafactories qui seront construites en Allemagne et en Italie. Notre stratégie est de mettre en production les gigafactories bloc par bloc : ainsi, après la mise en service du premier bloc à Billy-Berclau, nous mettrons en service le premier bloc de notre Gigafactory en Allemagne, et ainsi de suite, pour aboutir à la mise en service des neufs blocs de nos trois gigafactories en 2030. Ce qui correspondra alors à une puissance de 120 GW de capacité installée, soit 2,5 millions de véhicules électriques équipés par an.
Derrière la mise en service de la gigafactory d’ACC, il y a la volonté européenne de mettre en place une véritable filière européenne des batteries. Quelle est la place d’ACC dans cette ambition ?
ACC est une brique importante du montage de cette filière européenne de la batterie. Si d’autres briques se mettent en place actuellement en Europe sur l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries, force est de constater qu’il reste encore beaucoup de travail. Je vais vous donner deux exemples. D’abord sur la première brique, qui concerne les matériaux. L’extraction des matières premières est une activité qui se structure en Europe, qui commence à émerger, mais qui n’est à l’heure actuelle pas opérationnelle. Ce qui oblige un fabricant comme ACC à se fournir hors d’Europe, là où les matières premières sont extraites. Moyennant bien sûr le respect d’une charte achat très stricte pour garantir l’aspect
social et environnemental des produits que nos fournisseurs nous livrent. Ensuite, à l’autre bout de la chaîne de valeur, il y a le recyclage. Sur ce secteur d’activité, la filière n’est encore qu’émergente, et ne constitue pas aujourd’hui un pilier sur lequel nous pouvons nous reposer pour recycler nos batteries. Ceci dit, cela est moins problématique que pour l’extraction des matières premières, puisque les besoins en recyclage n’apparaîtront concrètement que dans quelques années, étant donné l’espérance de vie, et de seconde vie, des batteries que nous produisons.
Quelle stratégie adoptent les constructeurs automobiles face à la fin programmée des véhicules thermiques, et au déploiement massif de l’électrification des transports ?
La réglementation européenne très contraignante autour des normes (Euro 6, Euro 7) pour le développement de nouveaux moteurs a obligé les constructeurs à changer leur fusil d’épaule, pour se concentrer dès aujourd’hui sur la bascule vers l’électrique. Et donc sur les batteries. C’est aujourd’hui un enjeu de court et moyen termes. A horizon 2035, ce sont près de 12 millions de batteries qui seront nécessaires à l’échelle européenne chaque année pour équiper les véhicules électriques. Aujourd’hui, les seules batteries commercialisées viennent de Chine, de Corée du Sud et du Japon. Il est donc impératif de pouvoir équiper les véhicules européens avec des batteries produites localement. Dans ce sens, Mercedes voit d’un bon œil le développement d’une gigafactory ACC en Allemagne, et plus généralement, la constitution d’une filière de batteries européenne compétitive est un gage d’indépendance pour le futur, notamment par rapport à l’Asie. Mais ceci n’est vrai qu’à partir du moment où nous serons réellement compétitifs par rapport à nos concurrents, d’où une forte pression sur les acteurs européens émergents dans le domaine des batteries.
Quel est votre état d’esprit face à cette pression pour être compétitif par rapport au marché asiatique, et plus globalement sur l’avenir de la filière batteries européenne ?
Si je prends un tout petit peu de recul sur l’activité que nous développons chez ACC, j’évoquerai trois points. D’abord, le fait que nous travaillons à ce que la planète aille “moins mal” dans les années et les décennies qui viennent. Nous connaissons tous les conditions dans lesquelles les batteries sont produites aujourd’hui, il apparaît nécessaire de faire des efforts pour assainir cette situation et rendre les modes de production des batteries plus vertueux, écologiquement parlant. Nous nous y employons.
Le second point qui nous motive, c’est l’aspect réindustrialisation. A travers le développement d’ACC, il y de nombreuses créations d’emplois, dans notre centre de R et D, et dans nos gigafactories, qui emploieront chacune 2 000 salariés à terme. Ceci dans des
territoires qui sont en train de se « réinventer », et à proximité immédiate de sites industriels aujourd’hui dédiés à la production d’organes automobiles mécaniques et qui verront demain
leur activité inexorablement se réduire du fait de ce virage vers le tout électrique.
Nos implantations permettent à ces sites de se réinventer plutôt que de péricliter, ce qui permet d’éviter de nouvelles casses sociales, et à la France de concrétiser en partie son objectif de réindustrialisation.
Enfin, nous contribuons à permettre à la France et à l’Europe d’assurer une certaine forme d’autonomie, une certaine forme de souveraineté technologique et industrielle, sur cet
élément clef qu’est la batterie pour véhicule électrique.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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