Pourquoi le rythme des glaciations s'est-il brusquement ralenti il y a environ un million d'années ? Pour répondre à cette question et ainsi mieux anticiper l'évolution climatique future, un consortium de chercheurs s'est mis en quête d'une glace vieille d'au moins 1,5 million d'années.
Trouver en Antarctique de la glace vieille d’au moins 1,5 million d’années, tel est l’objectif du projet “Beyond EPICA – Oldest Ice“ (BE-OI). Coordonné par l’institut Alfred Wegener en Allemagne, il implique au premier plan le CNRS et l’IPEV. Extraire une carotte de glace aussi ancienne permettrait d’élucider l’un des mystères de la paléoclimatologie. En effet, il y a environ un million d’années, le climat de la Terre a subi un changement de rythme majeur. « À ce jour, nous ne savons toujours pas pourquoi la périodicité des cycles glaciaire-interglaciaires a considérablement changé autour de 900 000 à 1 200 000 ans avant notre ère », précise Jérôme Chappellaz, directeur de recherche au CNRS, représentant l’organisme au sein du consortium BE-OI et responsable d’un des groupes de travail. Alors que les glaciations survenaient tous les 40 000 ans environ, leur fréquence est descendue à une tous les 100 000 ans, comme en témoignent les sédiments marins. Mais le déroulement et les causes de cette modification demeurent énigmatiques, et le resteront sauf si les scientifiques parviennent à disposer de glace datant de cette époque.
Grâce aux carottes de glace, les scientifiques peuvent obtenir une multitude d’informations sur le fonctionnement du système climatique terrestre, dont l’évolution des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Seules ces archives glaciaires permettent de renseigner directement la composition de l’atmosphère par le passé et donc d’évaluer le rôle joué par les gaz à effet de serre lors de cette transition climatique majeure. Pour y parvenir, le projet BE-OI inclut une batterie de méthodes originales qui visent à déterminer le site où dénicher cette glace si convoitée, comme des mesures géophysiques et des méthodes de datation spécifiques. Il fait aussi appel à des technologies d’accès rapide à la glace profonde, comme Subglacior, une sonde qui date la glace en temps réel, développée par plusieurs laboratoires associés au CNRS2. Deux régions potentiellement intéressantes seront explorées : le secteur du dôme Fuji et une zone appelée « Little Dome C » située à environ 40 kilomètres de Concordia.
Dès l’été austral 2016/2017, les Allemands déploieront un radar aéroporté dans le secteur du Dôme Fuji, dans l’objectif de documenter les couches internes du glacier, caractériser le profil du socle rocheux, déterminer les propriétés physiques de la glace, et voir si des écoulements anormaux se sont produits en ayant mélangé les couches anciennes. De leur côté, des équipes italiennes et britanniques effectueront des mesures radar près de Concordia, avec le même objectif.
Du côté français, les premiers tests en Antarctique de la sonde Subglacior seront également réalisés durant la saison australe 2016/2017. Entièrement inédite, cette sonde doit permettre de mesurer au sein même du glacier, en continu et en temps réel, certains signaux géochimiques permettant d’évaluer l’âge de la glace et la bonne continuité stratigraphique au sein du glacier. Atout indéniable de la sonde, ces informations s’obtiennent sans carottage. « Tout est nouveau dans cette sonde, depuis l’instrument laser embarqué jusqu’à la façon dont on pénètre dans le glacier », indique Jérôme Chappellaz, qui la testera en compagnie de huit membres du projet. Elle sera déployée la saison suivante près de Concordia sur le site considéré comme le plus prometteur par le consortium BE-OI (sur la base des données géophysiques obtenues cette année).
Le CNRS contribue au projet par le déploiement de Subglacior mais aussi par ses expertises sur la modélisation de l’écoulement des glaciers et sur les datations radiochronologiques. Si les données géophysiques sont acquises par des partenaires étrangers, les chercheurs du CNRS sont fortement impliqués dans leur interprétation. « Nous avons développé des outils très performants de modélisation pour interpréter les échos radar, évaluer l’écoulement du glacier au cours du temps, et dater les couches en profondeur », explique Catherine Ritz, directeur de recherche CNRS et responsable de ce volet au sein du consortium BE-OI. Par ailleurs, deux chercheurs du Cerege (CNRS/AMU/IRD/Collège de France) étudieront les copeaux de glace remontés des grandes profondeurs par les outils de reconnaissance rapide, afin de valider les âges estimés par les autres outils.
L’apport financier européen servira en majeure partie à soutenir la logistique complexe et coûteuse au cœur de l’Antarctique. Ainsi l’Institut polaire français, avec son partenaire italien le PNRA, contribue de manière essentielle à cette logistique, dans la mise en place du programme et l’accueil des scientifiques grâce à ses moyens propres et ses personnels. Tous les deux opèrent la base franco-italienne Concordia, lieu de test pour la sonde mais aussi point de départ pour les sites prometteurs situés à « Little Dome C ». Les deux instituts mettront d’ailleurs en place des moyens spécifiques pour créer deux camps isolés afin que les chercheurs puissent étudier ces sites durant plus de deux mois, sans disposer de l’infrastructure habituelle d’une base scientifique.
Enfin, le projet a également pour ambition de mettre en place les expertises nécessaires autour du futur forage profond (en améliorant les technologies actuelles de forage), ainsi que le management scientifique et le plan de financement pour cette prochaine étape du consortium.
Au-delà du consortium européen BE-OI, cette quête de la glace la plus ancienne fait l’objet d’un engagement international. Ainsi des équipes américaines, chinoises, japonaises, russes et australiennes se sont engagées dans cet effort, en se reposant sur leurs propres moyens logistiques en Antarctique. Au niveau international, ces études sont coordonnées par le programme « International Partnerships in Ice Core Sciences ».
Source : cnrs
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