Une lutte darwinienne féroce opère à Paris dans le domaine de la mobilité. Nouvelle arrivante, la trottinette électrique partagée peut-elle s'imposer face à la voiture individuelle ? Elle dispose dans tous les cas de sérieux atouts.
Beaucoup plus écologique et moins consommateur de l’espace urbain qu’Autolib, le concept de Vélib 1 reposait sur de simples vélos et des bornes fixes où l’utilisateur devait restituer la bicyclette. Face à l’arrivée des solutions concurrentes en free-floating (sans système de bornes grâce à la géolocalisation par smartphone) menée par des entreprises chinoises comme Mobike, la réponse avec Vélib 2 a été de proposer des vélos électriques qui donnent une justification au système à base de bornes car ces dernières deviennent des points de recharge électrique. Mais l’installation des nouvelles bornes électrifiées s’avère complexe à Paris et il est possible que l’aventure Vélib 2 échoue.
«Et maintenant des trottinettes électriques en libre-service !» s’exclame Le Parisien. «Le groupe américain Lime lance ce vendredi ses premières trottinettes électriques en libre-service à Paris». Le système proposé par Lime (ex LimeBike) est encore plus écologique, plus simple et moins coûteux: pas besoin de bornes où venir charger les trottinettes électriques de cette entreprise. Il permet de bénéficier de l‘attractivité de la propulsion électrique pour séduire la clientèle, sans subir les inconvénients des systèmes à base de bornes. Les trottinettes Lime sont en effet géolocalisables par smartphone et par ailleurs ramassées tous les soirs pour être rechargées pendant la nuit. De faible volume et de faible masse, le ramassage peut être réalisé par des moyens très simples et est donc peu coûteux.
Lime propose aux utilisateurs un coût d’1 euro par utilisation, auquel s’ajoute 0,15 euro par minute, soit un total de 2,5 euros pour 10 minutes. Assez pour parcourir 2 kilomètres à 12 km/h en moyenne, la vitesse de l’engin est bridée à 24 km/h. L’autonomie de la batterie est de 50 kilomètres pour un usage urbain standard, soit assez pour que chaque trottinette soit utilisée par 25 utilisateurs chaque jour (soit un total de 4 heures d’utilisation) et générer ainsi un gain d’environ 60 euros par jour, soit 1800 euros par mois. Même si le taux d’utilisation s’avérait deux ou trois fois inférieur, l’équation resterait rentable. L’investissement initial peut être amorti en seulement quelques mois. La quantité d’électricité consommée est en effet très faible (coût bien inférieur à 1 euro pour 50 kilomètres), le coût principal, outre les frais de réparation et les vols, porte sur la rémunération des personnes chargées du ramassage des engins le soir et de les charger durant la nuit.
Le ramassage peut être réalisé par des professionnels ou alors par des personnes désireuses de gagner ponctuellement un peu d’argent, en suivant le concept d’Uber. C’est le système qu’a mis en place la société Bird, les ramasseurs étant alors qualifiés de «Bird Hunters», et cela marche très bien. A San Francisco, Austin et San Diego 60% du ramassage des e-trottinettes de Lime est réalisé de cette manière, par des freelancers. L’avantage est qu’il n’est pas nécessaire pour l’entreprise d’investir dans des véhicules pour le ramassage. L’investissement initial se limite alors aux seules trottinettes électriques.
A San Francisco chaque e-trottinette Lime a réalisé 9,3 courses par jour et a rapporté 27,7 dollars par jour en moyenne, pour un coût global de 14,30 dollars. Etant donné que chaque e-trottinette ne coûte que 430 dollars on peut calculer que le temps de retour sur investissement est de moins de 2 mois. L’équation économique est donc hautement disruptive. C’est une énorme machine à sous qui se dessine à l’horizon car le marché mondial, de New Delhi à Rio de Janeiro en passant par Bangkok, est colossal ! «Selon l’agence Bloomberg, Bird est sur le point de conclure une levée de fonds d’au moins 150 millions de dollars auprès d’importants fonds de la Silicon Valley» rapporte le blog Silicon 2.0. «Moins d’un an après sa création, la société fondée par Travis VanderZanden, un ancien dirigeant d’Uber et de Lyft, sera ainsi valorisée à un milliard de dollars, contre à peine 300 millions il y a deux mois.» Lime a de son coté levé 250 millions de dollars auprès de Google Ventures et cherche à lever 500 M$. Davantage que Blablacar en 14 ans souligne l’agence 15Marches, spécialisée en mobilité.
La vitesse moyenne de circulation d’une automobile à Paris est inférieure à 15 km/h. Les trottinettes électriques (qui peuvent être équipées de porte-bagages) sont donc des concurrentes non seulement pour la marche, le vélo et les transports en commun, dont le métro qui est le lieu dont l’air est le plus pollué de Paris, mais aussi pour les voitures, individuelles ou partagées. Ludiques, elles remplissent d’enthousiasme celles et ceux qui les essayent et le désir de les utiliser se propage de manière virale. Et pas seulement chez les adolescents. Les vélos peinent à attirer les automobilistes car il faut pédaler. Vélib 1 était en majorité utilisé par des personnes qui voulaient échapper autant que possible au métro. Les trottinettes électriques sont motorisées et ont donc un potentiel de séduction bien plus élevé tout en étant très écologiques.
Le calcul est simple: il y a 2,3 millions d’habitants à Paris intra-muros. Environ 230.000 e-trottinettes suffisent pour répondre à la totalité des déplacements intra-mutros de 95% de ces habitants. Cela correspond à un investissement de seulement 85 millions d’euros. Vélib 1 (8700 vélos) coûtait à la Mairie de Paris 16 millions d’euros par an. Et la fermeture d’Autolib (3900 voitures) pourrait coûter 300 M€ aux contribuables.
«Nous ne serons pas satisfaits tant qu’il n’y aura pas plus de trottinettes que de voitures» a déclaré Travis VanderZanden au New York Times. La déferlante des trottinettes électriques partagées ne fait que commencer et a le potentiel de submerger le marché de la mobilité urbaine beaucoup plus rapidement qu’avec l’intégralité des autres systèmes de mobilité mis en place dans le passé.
Jean-Gabriel Marie
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