C’était la nuit du 2 au 3 décembre 1984. L’usine chimique d’Union Carbide explose, libérant dans l’atmosphère un nuage toxique de quarante-deux tonnes d’isocyanate de méthyle (MIC). Ce composé organique à base de phosgène, plus connu sous le nom de gaz moutarde, survole la ville du nord de l’Inde et tue plus de 3500 personnes quasi-instantanément. L’usine construite dans la capitale de l’Etat du Madhya Pradesh produisait 5000 tonnes de pesticides par an, mais était surtout fournisseuse d’emplois. Une véritable manne pour les indiens qui ont afflué dès 1978, faisant émerger autour de l’usine une véritable ville. Aucun ne se doutait que le rêve deviendrait cauchemar.
Comment une telle catastrophe a-t-elle pu se produire ? Bhopal est la conséquence terrible d’une succession d’incidents sous-estimés et non résolus. Tout commence par un dysfonctionnement. Une vanne restée ouverte alors qu’elle aurait dû être fermée provoque l’inondation d’un réservoir de MIC. La pression augmente, mais personne n’en tient compte. 3 heures plus tard, le couvercle en béton se fissure et la valve de sécurité explose, libérant le gaz hautement toxique sur une surface de 25 km².
Le drame de Bhopal est l’accident industriel le plus meurtrier. Au-delà des milliers de morts directement liés à l’intoxication au nuage de gaz, les terres et les eaux du secteur contaminées continuent à empoisonner les habitants. Les négligences dans la gestion de la sécurité de l’usine chimique ont conduit à des agissements contestables, comme l’enfouissement de déchets sous terre, qui ont pollué et polluent toujours les nappes phréatiques. L’explosion n’était en fait que le point d’orgue de plusieurs années de défaillances.
Derrière le drame de l’accident se révèle l’incapacité de nettoyer et de décontaminer. En effet, suite à la libération du nuage de MIC, le site n’a été fermé qu’au bout de 3 jours et n’est toujours pas décontaminé ! Il faut dire que le chantier est colossal et fait face à deux problématiques : le traitement des déchets du site et la décontamination des sols. Or, l’Inde ne dispose pas des compétences techniques pour incinérer les déchets. Il faut donc trouver un partenaire pour s’en charger. Début 2014, l’Allemagne était d’accord pour récupérer et acheminer sur son sol trois cent quarante sept tonnes des déchets indiens, avant de se rétracter. A ce jour, aucune solution n’est avancée pour le traitement des déchets, sachant que les trois cent quarante sept tonnes n’étaient qu’un début. On estime que plusieurs milliers de tonnes jonchent encore les sols. Malheureusement, si des indemnisations ont été versées aux familles ayant pu prouver qu’elles ont été touchées, rien n’a été entrepris au cours des trente dernières années pour assainir le territoire. Actuellement aux mains de Dow Chemical, l’usine d’Union Carbide reste abandonnée à son sort, et avec elle les populations locales.
Par Audrey Loubens, journaliste scientifique
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